BD Dans Et travailler et vivre, Fabien Toulmé explore le monde du travail

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Dans « Et travailler et vivre », deuxième tome de la série Les reflets du monde, publiée chez Delcourt, Fabien Toulmé explore le monde du travail et sa place dans nos vies. Instructif et profondément humain.

« Le travail c’est la santé », chantait Henri Salvador dans les années soixante, et il ajoutait « rien faire c’est la conserver ». Deux termes antinomiques qui disaient déjà la nécessité de travailler, cette activité structurante, et le droit à la paresse, ce besoin psychologique. Entre le Charlie Chaplin des Temps modernes et le Philippe Noiret d’Alexandre le Bienheureux, devons-nous choisir obligatoirement ? Ce dilemme, Fabien Toulmé l’a vécu puisque doué naturellement en matières scientifiques il a exercé le métier d’ingénieur en génie civil pendant quinze ans, un métier qui correspondait aux normes sociales et scolaires, mais pas du tout à ses envies profondes de dessinateur de BD. Après le tome 1 des Reflets du Monde consacré aux citoyens en lutte, il se devait donc de s’interroger sur cette thématique essentielle à nos existences. Fidèle à sa façon d’aborder les différents de sujets de société il est parti à la rencontre de contemporains à travers le monde pour tenter de trouver des témoignages éclairants.

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On pourrait consacrer un ouvrage théorique documentaire et sociologique à cette place du travail dans nos sociétés, mais le talent de Fabien Toulmé réside dans sa capacité à raconter. Il transforme des rencontres avec des inconnus étrangers en histoires attachantes et pleines d’empathie et d’humanité. L’auteur, solide gaillard, aime ses interlocuteurs et le montre à la fois dans ses dessins et dans sa manière d’établir des liens. Il ne fait pas que rencontrer des hommes et des femmes, il cherche à les comprendre et d’une certaine manière à les aimer.

C’est la Covid qui a accru et mis en avant un autre rapport au travail, ce que l’on a appelé « La grande démission » ou encore le « Big quit ». C’est donc aux États-Unis que Toulmé débute son enquête chez des personnes qui ont pris conscience de conditions de travail inacceptables, mais se sont aussi interrogées sur la place de leur profession dans leurs existences. Le travail avec des plateformes apporteraient-elles une réponse à ces douleurs en supprimant un supérieur hiérarchique direct ? En interrogeant des acteurs « indépendants » sud coréens notamment, la réflexion s’élargit, car apparaît entre les lignes (et entre les dessins !) le caractère écrasant d’un modèle de système économique mondialisé, celui d’une économie ultra-libérale axée sur la consommation et le profit plus que sur le bonheur individuel. Du bout des crayons et des mots, Toulmé donne les éléments de réflexion sans jamais imposer des constats ou des solutions. Il écoute, montre et laisse au lecteur le soin d’en tirer ses propres conclusions. Ancien cadre supérieur de grandes entreprises américaines qui décide de consacrer désormais sa vie à la musique, livreur sud-coréen à la façon d’Amazon ou encore cueilleuses de l’ylang aux Comores, toutes et tous se confient avec confiance et bienveillance.

Grâce à un récit, enrichi d’anecdotes tristes ou drôles, les termes d’ultra libéralisme prennent ici un autre sens, le dessinateur montrant des êtres, des souffrances, des frustrations plus éloquents que des termes politiques généraux abstraits. Quand Toulmé rencontre et suit une tournée d’un chauffeur coréen, ce sont les conséquences directes sur la vie quotidienne d’un homme que l’on découvre concrètement.

Des intermèdes avec la sociologue spécialiste des questions du travail, Dominique Meda, permettent de fournir des éléments de réflexion complémentaire, même si le constat final d’une transformation de ce monde économique, marqué aussi par des siècles de valorisation du travail par la religion, semble une perspective difficilement envisageable. Cherchant toujours des raisons d’espérer, Toulmé part finalement aux Comores pour découvrir et comprendre une expérience de modification d’un secteur entier de l’économie locale: la culture, la récolte, la distillation et l’exportation de l’ylang, une huile essentielle utilisée dans les plus grands parfums. D’autres rapports professionnels, une production plus respectueuse de l’environnement, une relocalisation, apportent de l’espoir mais tributaire d’un contexte mondial, cette goutte d’espérance semble perdue dans un immense océan.

Quand Toulmé quitte ses interlocuteurs, il leur demande ce qu’ils feraient s’ils disposaient de suffisamment d’argent pour vivre sans travailler: la plupart continueraient leur métier en aidant les autres dans leurs projets. Un constat final qui démontre, que le travail, ou son absence, nous définit en nous attribuant une place particulière dans la société. Qu’on le veuille ou non.

Et travailler et vivre de Fabien Toulmé. Tome 2 de la série « Les reflets du monde ». Editions Delcourt/Encrages. 360 pages. 25,95€.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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