Habemus Bastard, Raven et Les Aigles de Rome. Trois séries BD de chez Dargaud s’achèvent ou se prolongent, en ce mois d’octobre 2024. Avec beaucoup de bonheur et de réussite. À découvrir et redécouvrir.
La première d’entre elles clôt un diptyque entamé cette année. Le tome 1 d’Habemus Bastard (voir chronique) nous avait offert un album pas très catholique lorsqu’un gangster revêtait la soutane d’un curé pour se cacher et échapper à des malfrats vengeurs. Dans ce premier album, les auteurs s’amusaient à décrire l’arrivée dans une petite ville du Jura, d’un prêtre hors norme qui n’hésitait pas à accueillir dans son confessionnal de jolies pécheresses. Ils avaient aussi ouvert la porte à de nombreuses pistes expliquant la situation rocambolesque du « père Lucien ». C’était drôle, caustique, rythmé. Avec ce deuxième opus final, Sylvain Vallée et Jacky Schwartzmann versent dans le polar total. Les truands ont des gueules de … truands. Les revolvers sortent de partout, y compris des dessous de soutane, et on découvre les raisons de vengeances familiales, dignes des règlements de comptes d’Al Capone. On se tire dessus à la bonne franquette, on s’explose la cervelle dans un défoulement de cases superbes. Des « Pan » et « Pan » obligent parfois à aller vite à la page suivante pour connaitre les victimes dans un suspense ainsi garanti. On s’éclate, quoi ! Et le lecteur en redemande même si l’atmosphère neigeuse de la région fait froid dans le dos. Un cœur sous une soutane, dit le sous titre de cet album. Un cœur généreux dans le corps d’un truand ou peut être un cœur, objet d’une cible facile pour un tireur aisé ? Il faudra lire l’album pour avoir une réponse à cette question existentielle. Une dernière précision: ne cherchez pas la morale, elle n’est pas dicible.
Il aura fallu plus de patience pour les lecteurs de Raven (voir chronique). Plus de quatre ans et une trilogie ont été nécessaires pour connaitre le dénouement de la lutte entre le beau et habile Raven, et la belle et dangereuse Lady Darksee. Inspirée d’une nouvelle de Robert E. Howard, Mathieu Lauffray, magnifique co-auteur de l’indispensable Long John Silver, maîtrise tous les codes des romans et Bd de piraterie. Difficile de ne pas admettre que l’on feuillette ses albums pour prendre l’air du large, humer le varech et sentir le vent de noroit sur la peau. C’est le dessin qui nous séduit d’abord auquel s’adjoignent quelques couleurs assez terreuses et grises, suffisantes pour nous emmener dans l’obscurité humide de grottes géantes ou dans la lueur brûlante d’explosions mortelles. Tous les codes de la piraterie sont présents et nous ramènent un peu en enfance, lorsque munis d’épées en bois, nous luttions contre l’équipage du trottoir d’en face pour trouver le trésor caché. C’est vivant et beau. C’est dépaysant et haletant. C’est un triptyque incontournable pour les amoureux du genre et … les autres. Un dernier conseil: ne feuilletez pas les dernières pages. Lauffray vous réserve une ultime surprise.
De la patience, il en faut encore plus pour les lecteurs des Aigles de Rome de Marini. On sait que l’auteur italien aime les fresques inachevées. Le Scorpion, toujours d’actualité depuis sa création en 2000 et sa reprise au dessin par Luigi Critone, et dans une moindre mesure les séries Gipsy, Rapaces, démontrent le goût de Marini pour les histoires au long cours. Il est seul quand il crée le premier tome de cette série vendue déjà aujourd’hui à 715 000 exemplaires. Pour mémoire on rappellera que l’action se déroule un peu avant et après la naissance de Jésus Christ sur fond d’affrontements entre les Germains et l’Empire Romain. Se laisser le temps de la création permet à Marini d’écrire et de dessiner une large et grande épopée au service de destins individuels sur fond d’Histoire. Depuis l’album initial nous suivons l’amitié puis l’opposition entre Ermanamer, qui reprendra son nom originel de Arminius, et Marcus Valerius Falco. Deux destins parallèles puis opposés qui permettent à l’auteur de nous emmener dans les deux camps opposés: celui des Romains et celui des Barbares. Amour, violence, sexe, érotisme, Marini mêle dans ces sept albums les ingrédients dont il maitrise à la fois la narration et la représentation. Chevaux affolés, combats sans merci, têtes coupées, d’albums en albums, il raconte une Histoire violente et pleine de rebondissements. Comme souvent avec le créateur, la dernière case ouvre de nouvelles perspectives et nous invite à attendre avec impatience le tome 8. Dans un an au mieux?
Habemus Bastard, « Un cœur sous la soutane ». Tome 2 et fin de Sylvain Vallée et Jacky Schwartzmann. Éditions Dargaud. 84 pages. 21€.
Raven, « Furies ». Tome 3 et fin de Mathieu Lauffray. Éditions Dargaud. 84 pages. 20€.
Les Aigles de Rome. Tome 7 de Marini. Éditions Dargaud. 64 pages.17€.