Avant de se plonger dans les nouveautés de la rentrée, il est agréable de retrouver de bonnes habitudes : la suite ou la fin d’albums débutés l’an dernier. Deux titres publiés aux éditions Dargaud, Harlem de Mickaël et Slava de Pierre-Henry Gomont, devraient vous aider à plongée dans une rentrée agréable.
L’heure de la reprise approche et bientôt, à l’image de la rentrée littéraire et de ses plus de 400 titres, les éditeurs de Bd préparent activement les mois d’octobre et de novembre, période majeure dans la parution de titres nouveaux. Aussi pour permettre d’assurer la transition, ils aiment, en cette fin d’été jouer avec des valeurs sûres, notamment en publiant la suite ou la fin de cycles ou d’histoires commencées. Dargaud édite ainsi presque simultanément la suite ou la fin de deux albums au succès initial reconnu : Harlem et Slava.
D’abord Mikaël, qui clôture avec ce deuxième tome de Harlem, son troisième dyptique consacré au New-York du début du XX ème siècle. Couverture soignée, au dessin facilement identifiable, avec ces six volumes thématiques l’auteur franco-canadien, qui avait débuté comme illustrateur et auteur de livres pour enfants, a installé son nom dans le paysage BD contemporain. Les ouvriers bâtisseurs de gratte-ciel de Giant, les cireurs de chaussures de Bootblack ou encore la population noire de Harlem, toutes et tous ont en commun de compter peu dans l’histoire de la création de Big Apple. Gens de l’ombre ils ont pourtant contribué à la construction de la mégapole.
On retrouve dans la fin de ce cycle, Lady Gangster Stéphanie St Clair, martiniquaise émigrée adolescente à New-York, reine de la loterie, devenue richissime grâce aux jeux. Pourtant, elle est aussi la bienfaitrice de la population noire de Harlem. Paradoxe que traite avec talent Mikaël dans ce tome 2 où l’héroïne ambiguë poursuit sa lutte avec son concurrent direct Dutch Schultz, combat auquel va se mêler un jeune mafioso, Lucky Luciano. Grave et tendu, ce dernier opus répond aux attentes et clôture magnifiquement cette histoire qui met en évidence la corruption de politiciens et de policiers corrompus. Par d’efficaces retours en arrière, on y découvre les débuts dans la vie de Stéphanie et des explications à son obstination. Se dégage alors le portrait d’une femme inflexible qui a fait de sa couleur et de son sexe un moteur de lutte contre la pauvreté et les inégalités. Comme toujours le dessin de Mikaël est au diapason du scénario. Les rares touches de couleurs éclairent la sombre atmosphère d’une ville décrite à la perfection. Il pleut cette fois-ci à longueur de pages comme pour marquer le crépuscule d’un monde de truands en lutte pour sa survie. On perçoit l’époque comme celle d’Eliot Ness et de ses Incorruptibles. Il ne manque aucun bouton au large veston des costumes des flics et truands. Et les personnages trouvent une profondeur psychologique remarquable. On attend le prochain album de Mikaël avec impatience pour une poursuite de cette quête new-yorkaise ou pour un univers totalement nouveau.
On change de continent, de période, de style, cette fois-ci en retrouvant la Russie de Slava, Slava Segalov, ancien étudiant en art, bizarrement accompagné par Dimitri Lavrine, escroc médiocre, petit malfrat décidé à profiter de la chute de l’URSS pour entrer de plain pied dans le libéralisme et le capitalisme, ce miroir aux alouettes. Dans ce deuxième volet d’une trilogie qui trouvera sa conclusion en 2024, Pierre-Henry Gomont reste fidèle à sa description d’un monde en pleine reconstruction après avoir subi un séisme sans précédent. Dans cet univers nouveau, Slava est amoureux et cherche à renouer avec ses études artistiques. Lavrine reste Lavrine, symbole du regard de l’auteur sur ce peuple un peu perdu, sans repère, qui oscille entre humour, désamour, et cynisme.
On retrouve les qualités du premier tome : réalisme des rencontres avec des personnages existants et rencontrés, références littéraires nombreuses, textes aussi importants que les dessins, désormais facilement identifiables, où le trait léger et virevoltant accélère par intermittence le récit. Ce sont les « vouchers », ces bons de privatisation, qui vont attirer cette fois-ci ceux qui veulent devenir de nouveaux riches. Pas de manichéisme pour autant car la description des gens de peu demeurent pleine d’affection, de tendresse et de compréhension. Et l’amour dans tout cela? Il laisse un peu désemparé Slava que sa compagne Nina, libre comme l’air, abandonne. Provisoirement ? Il faudra attendre l’année prochaine pour avoir la réponse.