Dans le roman graphique Haute Enfance, publié chez Gallimard BD, Néjib évoque le passage de l’enfance à l’âge adulte avec Tunis comme décor. Violent et tendre à la fois.
C’est un peu comme un passage obligé pour les garçons adolescents: le temps de la rébellion, de la lutte contre des bandes rivales, des mauvaises actions dangereuses. La littérature et la BD se sont emparées de ce thème. La guerre des boutons de Louis Pergaud et Florence Cestac (voir chronique) ou Rama de Salim Zerrouki (voir chronique) en sont de récents exemples. Néjib, découvert avec son remarquable Stupor Mundi, reprend à son tour ce thème dont on devine qu’il est un épisode probablement important de son enfance. C’est en effet dans les quartiers de Tunis, dans ce pays où est né l’auteur, que se déroule son histoire.
Il faut d’abord dans ce type de récit une « bande » et un chef. Le caïd, le « zoufri » s’appelle Smurffedine, le roi du smurf capable de danser comme un Dieu sur la musique de Maillekeul Djaksonne. Il est LE cancre, celui qui fait rire la classe entière et se montre sans pitié. Son second, fils de bourge, a mis un bandana autour de la tête, pour enfermer ses pensées remplies de Rambo et de GI. Il s’appelle Ghassen. Et enfin, il faut toujours des plus timides, des plus timorés. Ils sont deux dans ces rôles, deux frères. Le grand blondinet, Farid, colon, traitre, Françaoui, va devoir retourner en France pour ses études. Il est le frère ainé de Slim, le vilain petit canard, incorporé à la bande par un chantage pornographique. Quatre comme les mousquetaires, quatre comme le début d’une bande. Le motif de l’expédition vengeresse, car il faut une vengeance, est celui de la violence d’un instituteur sadique qui loge de l’autre côté de la ville. L’enseignant a des allures de Khadafi avec ses lunettes noires et ses violents coups de règle. Les 200 pages de l’album nous amènent ainsi dans une traversée urbaine sous un soleil de plomb. Terrains de foot, quartiers résidentiels, gigantesques complexes hôteliers en construction (nous sommes en 1986, année de Tchernobyl), petites boutiques du souk, on ne voit aucun européen mais des chiens féroces et des tunisiens, spectateurs d’une balade vengeresse. Le chemin est muet, presque sans vie, animé par les seuls adolescents qui dansent, chantent, cassent les rétroviseurs.
La chaleur et la lumière écrasent cette ville qui n’est qu’une esquisse, une ébauche d’une métropole en expansion. Les sujets d’actualité tels la colonisation, le racisme, la diversité et l’inégalité des classes sociales apparaissent en toile de fond d’une aventure intime qui va achever l’aventure de l’enfance.
La forme remarquable qui abandonne le principe des cases millimétrées et, l’économie extrême de couleurs, le bleu ciel, le jaune, le rouge, à la manière de Riad Sattouf, nous font quitter l’anecdotique pour nous conduire vers le noir pur, vers le drame. Le dessin aussi tendu que le récit est d’une efficacité extrême, restituant le mouvement, la peur, la crainte et même la haine. Ils sont typés nos quatre gamins et on n’oublie pas leurs traits effrayés, leurs mimiques cyniques ou leurs folles cavalcades devant des chiens assoiffés de sang.
Sans temps mort, nous suivons la bande dans ce road movie d’adolescents en mal de sensations fortes. Le lecteur recherche peut être dans ses souvenirs personnels les moments d’’apprentissage et de construction personnels. Néjib, avec un récit simple, nous fait ainsi passer de l’intime à l’universel, ce moment où l’enfant copieur des adultes veut exister enfin par lui même, démontrer qu’à son tour il est grand quitte à en payer le prix fort.
Haute enfance de Néjib. Gallimard BD. 192 pages. 24€. Parution : Septembre 2024. Lire un extrait