On croit tout connaître du mythe d’Héraklès et l’on se trompe (presque) tous. Dans sa remarquable BD Heraklès, un jeune auteur, Édouard Cour, dresse un portrait original et talentueux du célèbre mythe. Avec humour et érudition.
Percer dans le domaine de la BD est chose difficile. Alors débuter avec une histoire en trois volumes est une gageure encore plus rare. C’est pourtant le défi qu’a réussi un jeune auteur plein de talent : Édouard Cour. Il y a trois ans sortait le tome 1 d’ « Héraclès ». Bien accueilli, les éditions Akileos prolongèrent l’aventure jusqu’à’ aujourd’hui où se termine l’histoire illustrée du héros antique. A ce défi de 450 pages venait s’ajouter celui d’un thème universel, mille fois raconté, étudié, décortiqué : l’histoire d’Alcide fils de Zeus et d’une mortelle Alcmène qui sera voué, librement ou contraint par Héra femme de Zeus, à subir de nombreuses épreuves pour devenir à son tour un dieu digne de siéger sur l’Olympe.
Ces douze travaux sont l’essence même des deux premiers tomes. Sérieusement documenté Édouard Cour s’attache à retranscrire les lectures les plus fréquemment admises du mythe avec précision avouant même avoir trouvé dans ses multiples lectures quelques détails ignorés ou oubliés. Mais que l’on ne s’y trompe pas, ce livre d’histoire serait banal si l’auteur n’y glissait pas sa patte talentueuse attirée par un détachement et un humour décalés.
Si les références cinématographiques étaient retenues il faudrait voir en Alcide plus un Droopy paumé qu’un Hercule des péplum italiens. Ce n’est pas un super héros qui est dessiné mais un homme chargé d’un lourd fardeau, celui de devenir un Dieu, sans véritable libre arbitre. Sans cette ironie et des dialogues savoureux la répétition des drames et des morts serait lourde et pesante.
Dans son registre modernisé le dessinateur excelle et réussit à éviter la répétition dans ce qui n’est finalement que voyages et déplacements pour livrer le plus souvent un corps à corps avec une créature effrayante et différente. Car Héraclès doit affronter le plus souvent ses adversaires sur leur terrain et cogne rarement à domicile. Voyage, combat, voyage, combat par des procédés graphiques renouvelés et quelques répliques cultes, l’auteur nous amène sur les traces des monstres à la manière de Bip le Coyotte. Les paysages se succèdent à une vitesse effrénée. En deux pages et six cases, défilent les quatre saisons, la montagne et la plaine, la pluie et le soleil. Et la petite silhouette d’Alcide qui court, court, court à la poursuite de son prochain défi.
Changement de décor, création sans cesse de nouveaux effets de mouvements, le lecteur est tenu en haleine, heureux de réviser ses classiques ou tout simplement de découvrir des interprétations personnelles l’éloignant d’une lecture de tragédie classique. Magnifiquement mis en valeur par un crayonné précis et inspiré de l’iconographie des poteries grecques, les couleurs appliquées par ordinateur éclaboussent des pages brisant le rythme et variant les effets. Seul un bleu Klein est circonscrit de manière prodigieuse aux yeux des Dieux. Couleur limitée à un seul usage : normal lorsque l’on sait qu’Édouard Cour est daltonien.
Mais l’idée originale de l’auteur est d’être allé au-delà de ces douze travaux est de retenir « l’après ». Dans le troisième tome, le récit prend toute son ampleur avec un Héraclès qui de plus en plus près des Dieux devient paradoxalement de plus en plus humain. La brute épaisse un peu limitée et brutale regarde souvent ses mains qui rougissent de sang. Alcide s’interroge sur sa destinée et devenant père de famille, époux amoureux, le dessin d’Édouard Cour le rend vulnérable et attachant. On s’associe à ses doutes et à sa prise de conscience que la force ne fait pas tout. Le lecteur peut le juger mais ne peut plus le moquer. Ce dernier opus éblouit avec des dessins merveilleux, qui osent enfin la pleine page voire même la double page comme si l’auteur plus sûr de lui et de son talent osait enfin se lâcher.
On quitte le domaine du dessin animé pour celui du film « psychologique ». Et on termine avec la couleur bleue dans des dernières pages époustouflantes de poésie et de réflexion.
Si il n’a pas nettoyé les écuries d’Augias ou vaincu l’hydre de l’Erne, Édouard Cour a néanmoins réalisé son premier travail imposant. Et l’a réussi, montrant qu’il était un jeune auteur à suivre de près. La Pythie de Delphes nous annonce qu’il pourrait au printemps prochain changer de domaine avec l’évocation en noir et blanc d’un art martial japonais. Et la Pythie ne se trompe jamais.