Je vais rester…poursuivre des vacances programmées malgré la perte accidentelle du conjoint. Sur ce scénario improbable, Trondheim et Chevillard livrent une BD remarquable d’originalité et de poésie. Sans leçon, mais avec tendresse.
C’est une BD qu’on lit en apnée, ou plus exactement en apesanteur, la bouche ouverte, l’esprit dans les airs, le regard ailleurs. C’est que l’on s’est mis rapidement dans la peau de Fabienne Guillardin que l’on aperçoit sur la couverture, le regard perdu vers l’horizon. Elle a de quoi être désemparée, Fabienne. Elle arrive à Palavas avec Roland, son compagnon, pour y passer quelques jours de vacances au bord de mer. Il a tout préparé Roland. Il est comme cela. Ou plutôt il était comme cela. Il a noté sur un petit carnet, jour par jour, heure par heure, le programme des festivités : joute nautique, spectacle équestre, démonstration de danse-country. Il a tout prévu sauf …. sa mort dès son arrivée. Alors évidemment cela change beaucoup de choses pour Fabienne. Quoique. Un coup de téléphone. Un moment d’hésitation et elle décide finalement de rester, de suivre le planning annoncé, de faire comme si.
Décision dérangeante, situation inédite, le lecteur suit alors Fabienne dans ce programme qu’elle va parcourir par refus de voir la réalité ou par respect de la mémoire de son compagnon. Chacun se fait son idée, mais partage avec la « veuve » son état de sidération, d’hébétude. Une douce mélancolie envahit l’album, mélancolie faite de silences que restitue parfaitement une composition en gaufriers qui, case par case, confrontent la vie qui continue dans une ville estivale de bord de mer et la pérégrination silencieuse de Fabienne.
C’est tendre, doux et l’on se surprend à se perdre dans les pensées imaginaires de Fabienne. Les pieds dans l’eau elle observe le monde autour d’elle qui vit, joue, bouge. Elle préfère alors ramasser un coquillage, le garder dans sa main comme un précieux trésor et se taire. Son amour est-il moins intense qu’elle le pensait ? Ou la vie est-elle plus forte que tout avec ses moments riches dans leur apparente banalité ?
Le scénario et les mots de Trondheim sonnent juste, rythmés par des silences et des dessins empreints de bonhommie qui ne sont pas sans rappeler Vive la marée de Prudhomme et Rabaté entre situation burlesque et poésie. Sur la plage, un enfant apporte à Fabienne un trésor trouvé dans le sable : un bouchon de bouteille de soda. Le temps de quelques cases muettes et la lecture se pose un instant, figée dans un regard échangé entre un enfant et une adulte. La mer bruyante s’est tue. Le lecteur s’échappe.
Pour sortir Fabienne de son mutisme, le gentil Paco, l’homme « au cœur d’artichaut », celui qui « s’il voit un escargot sur le trottoir, il va le mettre dans un jardin », Paco va l’accompagner un peu, évitant de sombrer dans une tristesse noire et opaque. Il sourit Paco, il apporte à petites doses de l’humour. Avec lui, comme dans sa série Lapinot, Trondheim alterne la gravité et l’humour et nous invite à « flotter » les pieds enlisés dans le sable, mais la tête dans le ciel au milieu des cerfs-volants.
On pense aussi à « Lulu femme nue » de Davodeau. À un moment donné, voulu ou subi, une femme quitte le quotidien pour errer à la recherche du sens de son existence, de ses amours. Les mots au plus juste en disent beaucoup et nous invitent à saisir la poésie du moment et de l’instant. Comme dans les romans d’Eric Holder.
Décidément Rabaté, Davodeau, Holder, des références qui suffisent pour démontrer la qualité de cette BD intimiste, profondément touchante, et qui traite du deuil sans larmoiement. Juste et pudique. Différente.