En racontant à sa manière l’histoire du quadruple champion olympique de Berlin en 1936, le talentueux dessinateur serbe, Gradimir Smudja, dit tout d’un destin unique et d’une époque marquée par la violence raciale. Une BD précieuse comme une médaille dorée à l’or fin.
Cours, cours, petit garçon.
Cours, cours, petit enfant noir.
Cours, cours, petit Jesse.
Cours, cours, toi qui depuis l’âge de tes cinq mois, époque à laquelle tu savais déjà marcher, fuis devant tous les dangers.
Cours, cours pour éviter une souris, un jars, un bouc, un alligator, des loups gris, ou peut être des coyotes. Tes futures peurs d’adulte.
Cours cours pour échapper au plus terrifiant des animaux, celui qui a mille têtes et que l’on appelle le Ku Klux Klan.
Tu es né le 12 septembre 1913 en Alabama dans ce Sud raciste et ségrégationniste. Ta mère a vu de suite que tu ne serais pas un enfant ordinaire, qu’un destin hors norme t’attendait. Mais les épreuves d’une vie difficile face au racisme implacable des blancs du Sud des Etats Unis vont rendre ton début d’existence douloureuse.
« Ce n’est plus une vie ça, mais une épreuve de résistance sans fin ».
Ton destin prédit par ta mère, ce sont peut être ces difficultés qui vont le provoquer. Tu vas fuir, les maitres esclavagistes, les bandits, les policiers, la misère, la faim, les coups de fouet dans les plantations de coton. Tu vas fuir, vite, très vite, plus vite que les autres en sautant plus loin que les autres. Ces jambes exceptionnelles vont t’amener, sur la piste d’un stade où la police symboliquement arrêtera sa poursuite, te laissant couper le ruban de l’arrivée. Tu es noir mais un noir capable de porter dans le monde haut et fort les couleurs des Etats Unis. Cela change tout. Ou presque.
Presque car le voyage pour les Jeux Olympiques Berlin se fait au fond du bateau alors que les autres athlètes voyagent en première classe. Presque car l’accueil populaire inégalé de ton retour au pays se conjugue avec l’interdiction qui t’est faite de rentrer dans les hôtels pour blancs. Il faut dire que tu as ridiculisé en Europe, un petit blanc, bon à rien, à la moustache noire ridicule et au bras infatigablement tendu. Presque car si on retient ta performance aux Jeux de Berlin, on ignore souvent que tes exploits les plus exceptionnels tu les as accomplis, un an avant, le 25 mai 1935 à Ann Arbor dans le Michigan où en 45 minutes « le petit fils d’un esclave américain venait de rendre immortels l’athlétisme et le sport » en battant six records du monde.
Ecris comme cela on pourrait croire à une Bd biographique traditionnelle mais si l’on connait les ouvrages précédents de Smudja qui avait, avec les dytiques Le bordel des Muses et Vincent et Van Goght (chez Delcourt), raconté à sa manière le mouvement artistique de la fin du XIX ème siècle, on se doute que le récit prendrait une forme unique. Le chat Vincent de Van Gogh, s’appelle cette fois-ci Essej Snewo. Il est le narrateur, l’ami et la pensée de Owens tel un Jiminy Cricket. Il est le chat des contes de Perrault, celui qui transforme la banale réalité en histoire onirique et fantastique. Smudja sublime, par le texte mais aussi par des images magnifiques, dont des double-pages inoubliables, le récit d’une vie en véritable féérie, où les étoiles au firmament côtoient les sinistres chapeaux pointus du Ku Klux Kan, quand la musique noire du blues et du jazz accompagne le délire d’animaux de cirque en fuite dans les rues de Cleveland. La magie opère, mélange de faits réels et d’imagination, de réalisme et de poésie
Courez, courez, monsieur Owens.
Courez, courez, honoré de la médaille de la Liberté.
Courez, courez, la ligne d’arrivée est proche.
Courez, courez, un jeune homme est derrière vous. Il cherche à vous rattraper. Il court vite. Il saute loin. Il a 19 ans. Il est noir. Il s’appelle Carl Lewis. Il veut vous ressembler. C’est un honneur.
Courez, courez Monsieur Owens, c’est la fin. Vous pouvez lever les bras. Vous êtes le premier. A jamais.
Jesse Owens, Des miles et des miles de Gradimir Smudja. Traduit du langage chat vers le français par Hélène Dauniol-Renaud. Editions Futuropolis. 128 pages. 24€.
On pourra, si l’on désire une biographie complète et précise de l’athlète américain se référer à l’ouvrage de Alain Foix, appelé sobrement « Jesse Owens » dans l’édition Folio/biographies.
Cher Eric, vraiment un immense merci pour ce si joli texte.