La Belle de Mai, fabrique de révolutions de Mathilde Ramadier et Élodie Durand, publiée aux éditions Futoropolis, raconte l’histoire vraie d’une des premières grèves de femmes. Documenté et toujours d’actualité.
Émile Zola aurait pu faire de cette histoire un roman social à succès. Nous sommes à la fin de 1887 à Marseille. Germinal a été publié il y a deux ans. La Manufacture des tabacs emploie plus de mille ouvrières, la plupart immigrées italiennes. S’il avait enquêté sur place comme il l’a fait souvent, l’écrivain aixois aurait trouvé tous les ingrédients de ses livres naturalistes qui racontent cette fin de siècle industrielle. Conditions de travail difficiles, pauses de repos de trois minutes, salaires faibles même si ils sont supérieurs à d’autres entreprises de la ville, hygiène réduite et aussi de multiples vexations et avilissements de la part de petits chefs machistes et autoritaires, constituent les soubassements d’une possible poudrière. C’est une de ces humiliations qui va allumer la mèche et déclencher un mouvement de révolte: la fouille au corps à la sortie des ateliers par des contremaîtres hommes. Trois femmes cigarettières vont être les meneuses, Sespo, Teresa et Rosa. Leurs prénoms disent leurs origines mais les autrices ne les distinguent guère de leurs collègues. Ce sont les femmes dans leur ensemble qui sont les actrices de ce mouvement de grève et de contestation que raconte des origines à sa conclusion cette Bd militante.
Mathilde Ramadier et Élodie Durand, si elles n’ont pu comme l’auteur de Médan enquêter auprès des protagonistes, ont travaillé sur les multiples archives et se sont rendu sur place puisque les lieux de la Manufacture existent toujours. Elles ont ainsi pu constater que comme souvent, les femmes ont une histoire et ont été des actrices du passé. C’est l’Histoire qui les a gommées.
C’est bien en effet un combat féministe qui nous est raconté avant tout, car les femmes sont les seules à la production, les hommes ayant des rôles de chefs et de surveillants. Ce sont leurs corps qui sont ciblés par un employeur majeur puisqu’il s’agit de l’État lui-même. Féministe aussi même à l’intérieur du monde ouvrier car la lutte marseillaise se heurtera également au mouvement syndical global, exclusivement masculin : « les étrangères comme nous ne font toujours pas partie des catégories mises en avant dans les campagnes de recrutement du Parti Communiste ».
Presque exclusivement en bichromie noire et blanche, le bleu, symbole d’harmonie et d’amitié, traverse l’ouvrage pour faire souffler le mistral ou chanter les notes de musique. Il égaie de ses fulgurances les atmosphères lourdes et pesantes. Il est la couleur des blouses des ouvrières et des bouquets de fleurs qu’elles confectionnent après la victoire de leur combat. La fête de la Belle de Mai qui consistait à élire « la plus jolie parmi le plus jeunes du quartier » sera désormais consacrée aux travailleuses qu’on couronnera de fleurs au printemps. De fleurs bleues. Car de victoire il s’agit bien et quelques pages historiques à la fin de la Bd expliquent comment la grève des cigarières marseillaises, et ensuite une de ses représentantes, Marie Jay, firent entrer les revendications spécifiquement féminines dans les combats sociaux.
Elles sont solides ces femmes que dessine de manière marmoréenne Élodie Durand. Les bras massifs ne craignent pas le travail mais n’hésitent pas non plus à être brandis comme des étendards. Les larges blouses en font des statues imposantes. La phraséologie, peut être de manière volontaire, est un peu stéréotypée et rappelle plus les manuels du parfait révolutionnaire que les revendications spontanées des pavés des rues. Sans doute un écho aux articles de presse de l’époque qui s’emparèrent du mouvement marseillais pour en faire un symbole, aujourd’hui oublié mais ressuscité grâce à cette BD.
À la fin de l’ouvrage une photographie « d’ouvrières diverses » est reproduite. Coiffées presque à l’identique, elles forment un bloc. Mains sur les genoux, mains sur les hanches, elles sont l’image de la détermination. En haut, au centre, un homme seul à casquette, regarde ailleurs. Il a l’air perdu. Sa voisine semble le taquiner. Elle sourit. Se moque peut être? Comme un symbole.