Dans un récit époustouflant de réalisme et de précision, La Cellule raconte le processus qui a conduit aux attentats de novembre 2015. Une prouesse graphique et scénaristique impressionnante. Et passionnante.
Les compte-rendus quotidiens du procès en cours des attentats du 13 novembre 2015 sidèrent, désespèrent, émeuvent. Mais comment en sommes-nous arrivés à cette nuit noire d’automne? Le roman graphique La Cellule raconte sur une année la chronologie précise des faits qui ont précédé et abouti à ces massacres. S’ils ont eu lieu c’est que des failles nombreuses ont permis aux terroristes, connus pourtant des services de renseignements, de passer à travers les mailles du filet. Soreen Seelow, journaliste spécialiste du terrorisme au journal Le Monde les pointe bien entendu dans un récit limpide, tendu au cordeau malgré la complexité et la multiplicité des intervenants et des lieux.
Frontières passoires en Grèce ou en Turquie pour des milliers de migrants fuyant le régime de Bachar Al Assad, lois et règlements internationaux inadaptés (ils ont été modifiés depuis), services de renseignements manquant de moyens et n’exploitant pas, par exemple, le contenu d’un téléphone d’un terroriste que des mois après sa captation et quelques jours seulement avant les attentats, la liste des manquements est interminable. Les occasions sont nombreuses d’arrêter le processus et, à l’image d’un agent de la DGSI, seule invention de la BD pour des raisons narratives, on découvre que pour les services anti terroristes « Tout était là » sous leurs yeux. La reproduction d’un cri d’alarme du juge Trévidic dans Paris Match du 7 octobre le confirme de manière terrifiante: « L’évidence est là : nous ne sommes plus en mesure de prévenir les attentats comme par le passé. On ne peut plus les empêcher. Il y a là quelque chose d’inéluctable ». Par des auditions sur des repentis notamment, par des écoutes téléphoniques, la cartographie des individus était connue. Seuls la présence du djihadistes belge, Aldelhamid Abaaoud, coordinateur des attentats sur le sol français et la nature des objectifs étaient demeurés dans l’ombre.
Réduire pourtant cette BD à cette seule constatation, même indispensable et au cœur du sujet, serait cependant insuffisant et injuste. Le propos est plus large et aide à comprendre les ressorts qui animent ces djihadistes et provoquent leur folie meurtrière. Ces noms ont désormais un visage, des propos, des motivations et l’enquête nous fait pénétrer à l’intérieur de l’organisation de l’Etat islamique, percevoir son délire idéologique et son horreur de la vie eu égard au bonheur infini de la mort. La transcription de vidéos, d’écoutes téléphoniques démontrent la folie d’une logorrhée verbale mais aussi le cynisme d’individus qui n’hésitent pas à transgresser la loi coranique évoquée à longueurs d’imprécations sous le prétexte que « la guerre est une ruse ».
Dans un parallèle effrayant, le récit n’hésite pas à montrer le désarroi des services de renseignement et du plus haut sommet de l’Etat qui pressentent, devinent, mais n’en savent pas suffisamment pour arrêter un processus devenu inéluctable.
Le dessin de Nicolas Otero qui a travaillé et repris presque exclusivement des documents photographiques est parfaitement adapté au mode enquête journalistique finalement retenue même si on atteint là les limites de la définition de la Bande Dessinée. La méthode est efficace et contribue à valider le sérieux de l’enquête qui a conduit selon l’éditeur à travailler sur un dossier d’instruction de 53 mètres de hauteur et près de 300 000 pages. Une enquête écrite n’aurait certainement pas permis une telle fluidité du récit qui, de surcroît, évoque les attentats du Thalys, les projets déjoués de la cellule de Verviers, les attentats de mars 2016 à Bruxelles qui clôtureront ces épisodes sanglants.
Dans un épilogue glaçant, les auteurs montrent aux lecteurs que la menace n’est jamais écartée. Même si elle semble pour l’instant circonscrite à des individus isolés.
Une BD exceptionnelle et nécessaire pour comprendre notre histoire immédiate.