Dans une BD digne des plus grands, Rochette met face à face un homme et un loup. Avec la montagne comme témoin. Magnifique.
C’est un duel. Un duel entre deux regards. Le regard d’un homme, le regard d’un animal. L’homme s’appelle Gaspard. C’est un vieux berger qui ressemble étrangement à l’auteur, physiquement et psychologiquement. Il est « radical » dit Rochette. (1). Il est seul dans sa montagne, se moque des lois, des autres. Son fils soldat a été tué au Mali et « il n’a plus rien à perdre ». L’animal est un jeune loup qui a vu sa mère tuée l’année précédente par Gaspard.
Entre le louveteau et l’homme, à une distance infinie, s’installe durant des mois une obsession, celle d’une vengeance à assouvir. Dans ce massif des Écrins, où vit aux beaux jours Rochette, va résonner alors au fil des saisons un silence pesant mais puissant où chacun des deux protagonistes va toiser l’autre dans un face à face aux allures de tragédie grecque. Cette traque mutuelle, féroce, va peut être révéler chez Gaspard des sentiments enfouis, faire rejaillir des souvenirs et modifier sa perception des choses.
Qui va gagner? On n’est pas certain de le savoir et les magnifiques pages finales ne peuvent se contenter d’un tel manichéisme. Rochette ne prend pas parti entre le berger, traumatisé par le massacre de son troupeau, et les gardes du Parc, chargés de sauvegarder l’espèce. Chacun a ses bonnes raisons d’agir et par son dessin il nous montre sa compréhension à l’égard des pulsions de l’homme et celles de l’animal.
Impossible dans ce tête à tête violent de ne pas penser à Moby Dick de Melville, cette rivalité entre le capitaine Achab et l’énorme baleine. Ou Au vieil homme et la mer d’Hemingway, romans dans lesquels sourdent une lutte et une violence qui se transforment partiellement en connivence, à défaut d’amour. D’un côté la mer et son immensité, élément de décor unique. Ici la montagne et son silence assourdissant dont Rochette précise :
Je suis dans ma zone de confort. La montagne est je crois ce que je sais faire de mieux.
Cette capacité à dessiner ce décor, qui est en fait le troisième personnage, l’auteur nous l’avait déjà démontré avec le remarquable Ailefroide, altitude 3954. On retrouve, comme une signature ce bleu Klein, haché de noir qui vibrionne comme pour faire bouger ces sommets dont le dessinateur connaît tous les moindres recoins. Ici tout est tranché et les contrastes violents donnent une dimension épique à des paysages époustouflants. Plus on monte vers les sommets plus le contraste se fait violent et la bichromie symbolise à la perfection l’opposition ciel et pierre, bien et mal, jour et nuit comme une partition musicale simplifiée.
De Rochette, Gibrat déclare dans son magnifique dernier Artbook l’hiver en été (Éditions Daniel Maghen)
En dehors de Giraud, Goossens, Rochette, pour moi il n’y avait plus personne.
Pour valider ce jugement de référence, plus encore que dans sa BD précédente, Rochette par un trait minimaliste, exprime le silence et l’implacable puissance de la montagne qui sert de cadre au duel. La disposition des cases ajoute une tension extrême, à distance, entre l’homme et le loup. Leur regard réciproque de défi est inoubliable.
Avec ce récit dont le sujet tient en une phrase et que Rochette avoue avoir écrit en un mois, le créateur démontre la puissance de son trait et dévoile l’implacable beauté d’une nature grandiose offerte aux hommes. Pour mieux les défier ou les révéler à eux mêmes.
BD Le Loup de Jean-Marc Rochette. Éditions Casterman. 19 X 26,8. 112 pages couleur. Cartonné. 18€.
(1) les citations sont extraites de l’interview de l’auteur dans le numéro 133 de dBD, réalisée par Philippe Peter.
Scénario : Jean-Marc Rochette
Dessin : Jean-Marc Rochette
Mise en couleur : Isabelle Merlet