L’énergie dirige le monde et modèle nos modes de vie quitte à nous détruire. À l’issue de ce constat édifiant, les auteurs de la BD Le monde sans fin proposent de modifier profondément le mode de fonctionnement de nos sociétés. Instructif, pédagogique et indispensable.
Depuis longtemps la BD s’est appropriée tous les genres et tous les domaines. L’adaptation de Sapiens de Yuval Harari en BD (1) témoigne de cette capacité du neuvième art à aborder les sujets les plus complexes. Un auteur spécialiste travaille avec un ou des dessinateurs chargés de mettre en images les idées pour les traduire pour le plus grand nombre.
Dans la filiation de l’adaptation de Sapiens, Le monde sans fin fait collaborer un scientifique en l’occurrence Jean-Marc Jancovici, créateur de la norme mondiale « Bilan carbone », un des fondateurs de Carbone 4, une société de conseil spécialisée dans le changement climatique, et un dessinateur reconnu, Christophe Blain, auteur notamment de Quai d’Orsay, de Isaac le pirate et des dessins du dernier Blueberry.
L’équation de création est désormais connue et le résultat plus que probant. C’est donc Jancovici qui nous entraîne dans un voyage vertigineux au coeur de nos activités économiques qui ne sont tributaires que d’une seule chose : l’énergie. Encore et toujours l’énergie, thème central qui compose la première partie de l’ouvrage, et dont l’appréhension est rendue plus aisée en lui substituant le terme de « machines », procédé qui rend la démonstration encore plus évidente, surtout lorsque l’on convertit cette énergie machines en nombre d’esclaves, équivalents de l’énergie humaine, celle qui fut essentielle pendant des millénaires avec les énergies renouvelables.
C’est elle, cette énergie fossile extraordinairement peu coûteuse (5 à 7% des revenus des ménages de France), qui a modifié considérablement depuis la Révolution industrielle nos conditions de vie, en se substituant aux énergies renouvelables. Elle, et donc son corollaire les machines, sont présents partout dans nos vies quotidiennes lorsque nous nous habillons, nous nous lavons les dents devant un miroir ou téléphonons : bois, charbon qui est tout sauf une énergie du passé, pétrole, le roi des énergies sur lesquels les auteurs s’attardent plus, gaz, sont essentiels.
Les pages consacrées à cette démonstration sont éclaboussantes de clarté et de synthèse. Jancovici est au tableau, Blain au crayon. Dans le rôle de Candide il use de métaphores comme celle d’un Iron Man doté de supers pouvoirs grâce à toute la technologie que lui procurent les énergies, mais aussi d’une fragilité extrême compte tenu des incidences de notre appétit énergétique qui croit de manière exponentielle et inodore, mais terriblement destructeur pour notre climat notamment, constat qui est le deuxième fil conducteur de l’ouvrage. Bien entendu des réponses sont possibles, mais elles supposent à la fois une prise de conscience immédiate et de notre part individuelle d’importants changements de mentalité, de mode de vie et de consommation. La première barrière est bien psychologique.
Nous sommes incapables encore d’imaginer un monde sans croissance, « parce que rien n’est prévu pour cette situation ». L’humour, souvent noir de Blain, pointe le crayon là où cela fait mal tant nous paraissons absolument inconséquent, emportés dans une machine sans pilote. Jamais l’expression « aller droit dans le mur » n’a semblé aussi opportune. Les auteurs à défaut d’être optimistes se veulent lucides et cherchent avant tout à impliquer le lecteur dans la suite d’une l’histoire qui reste à écrire et, comme dans un bon roman, la fin du récit est ouverte et interprétable de différentes manières. À chacun de se l’approprier.
Écrire cependant que cette BD se lit comme un roman serait inexact. Certaines statistiques sont redondantes, des schémas aussi et des affirmations scientifiques n’avaient peut être pas un besoin expresse d’autant de validations répétées sous différentes formes. Néanmoins le propos est salutaire et contribue comme le nombre important d’essais et de textes actuels à démontrer l’urgence d’agir. Sa forme le distingue particulièrement en le destinant au plus grand nombre. Dans le dessin de la quatrième de couverture, Blain questionne son compère: « C’est la fin du monde Jean-Marc ? ». « Idéalement, pas tout de suite » lui répond Jancovici. Pas tout de suite mais « bientôt » pourrait-on ajouter après cette lecture édifiante et nécessaire. À moins que le citoyen ne se transforme en lecteur et modifie le cours des choses.
Le Monde sans fin. Scénario : Jean-Marc Jancovici. Dessin et scénario : Christophe Blain. Editions : Dargaud. 196 pages. 27€. Parution 29 octobre 2021.
(1): Le tome 2 de Sapiens sous-titré Les piliers de la civilisation vient de sortir chez Albin Michel.