Les Parents de haut vol de Marion et Paul Sanze est une BD peu commune. Sortie discrètement en 2022 en auto-édition, elle aborde un sujet qui divise depuis longtemps : le terrible TDA/H (Trouble du Déficit d’Attention avec ou sans Hyperactivité). Ce trouble du neurodéveloppemental, à la fois très médiatisé et encore trop peu connu, souffre d’une stigmatisation qui pénalise les premiers concernés, mais aussi leurs proches. Ici, le trouble est étudié à hauteur de parents, dans ce qu’il a de touchant et d’imparfait, pour redonner espoir et éduquer. Une BD à lire, à l’image de cette chanson oubliée des Drôles de Dames Mon p’tit gars, hymne d’amour maternel pour son enfant TDAH…
Les Parents de haut vol, c’est globalement l’histoire de trois enfants (Noah, Lou et Lola), de deux parents (Julia et Marcus) et d’un canard. Un jour, l’oiseau tombe de son nid et est recueilli par la famille Swan. On ne sait pas d’où il vient et ce qu’il est, alors à défaut il s’appellera Eliot et ce sera un canard. Eliot est le petit narrateur de l’histoire, à la fois membre de cette famille qui l’a adoptée et observateur.
L’année où débarque le petit canard, c’est le grand chambardement. On suit l’histoire de la rentrée scolaire mouvementée de Noah, personnage principal dissipé et tête en l’air. À la fois surexcité, rêveur, impulsif et brillant scolairement, le jeune garçon attire l’attention de Mlle Candy, son institutrice. Elle convoque les parents pour leur parler pour la première fois du Trouble du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité appelé aussi TDA/H, que l’on peut considérer comme l’antagoniste principal de l’histoire. Ce trouble neurodéveloppemental agit sur la concentration et la canalisation de l’énergie.
S’ensuit un branle-bas de combat de parents angoissés qui vont commencer à se documenter sur le sujet. Au fil de leurs pérégrinations identitaires un autre sigle apparaît, le HPI. Dans les caractéristiques de cette particularité neurologique, ils y reconnaissent leurs fils aussi bien que dans le TDAH, mais ils préfèrent cette piste. Ils finissent par aller voir un pédopsychiatre, second antagoniste de l’histoire, le Dr Garou. Le médecin parle rapidement du TDAH et prescrit des tests plus approfondis dont tests d’attention et de QI… Mais qu’a donc Noah ?
« Être des Parents de Haut vol, c’est pas être de super parents et prendre toujours la bonne décision, c’est prendre une décision et essayer de faire avec… » Cette phrase prononcée par l’autrice pour expliquer le titre de sa BD pose le ton. Ce livre n’a pas la prétention d’être une bible, mais plus un témoignage de parents imparfaits et partiaux. Sans y répondre réellement, cette BD soulève beaucoup de questions que tous parents concernés se posent, ce qui rend le ton surprenant, mais authentique. Les auteurs semblent s’interroger en même temps que leurs personnages, inspirés de leur vie, pour que d’autres parents ne se sentent pas aussi seuls qu’ils ont pu se sentir.
« Si tu ne vois pas le livre que tu veux sur les étagères, écris-le. »
Beverly Cleary
Avec beaucoup d’humour, un peu de second degré et un soupçon d’ironie, le récit de ce bouleversement est raconté avec des scènes de vie quotidienne très bien reproduite et déjà évocatrice d’un fonctionnement atypique. La maison est un chaos, mais ce chaos-là fonctionne… C’est à l’âge scolaire que ce dernier semble devoir porter un nom, après la première intervention de Mlle Candy, pour éviter à Noah d’en souffrir plus tard.
Contrairement à l’idée courante qu’il ne sert à rien de diagnostiquer le TDA/H puisque le trouble disparaît à 18 ans, tel le nuage de Tchernobyl censé s’arrêter à la frontière aérienne de la France, plus de 67 % de personnes diagnostiquées resteraient impactées par leurs troubles à l’âge adulte. En France en 2019, sur 100 élèves TDAH, on estimait que 12,3 % d’entre eux subissaient du harcèlement scolaire du fait de leur difficulté d’adaptation sociale, 7,4 % finissaient par souffrir de phobie scolaire et 12,6 % par décrocher scolairement. Formée à ces troubles, Mlle Candy pousse les parents de haut vol à explorer cette piste avec un psychiatre pour le bien être futur de Noah.
La BD soulève nombre de sujets, comme la décision difficile de devoir choisir pour son enfant et, justement, la sensibilisation des écoles à ces troubles de l’apprentissage. À l’instar de l’institutrice, les professeurs sensibilisés pensent TDAH/HP et avenir. Mais ces derniers font-ils trop ? Si dans un monde idéal l’école s’adapte aux élèves, diagnostiquer est-il synonyme de renoncer ? Si la crainte des parents que tout professeur formé s’improvise psychologues, voire psychiatres, est justifiée, ces formations demeurent essentielles pour repérer rapidement ces enfants en difficulté. Les difficultés ne faisant que croître avec l’âge.
Malheureusement en France, ces formations de sensibilisation essentielles peinent à se mettre en place. Celles-ci permettent pourtant aux enseignants d’être alerte face à ces problématiques, d’aiguiller les parents et d’adapter aux besoins de l’enfant s’il est réellement concerné. Sur près de 900 000 enseignants, 750 ont été formés en 2018 aux côtés de personnels de santé et en partenariat avec la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées), soit 0,09%. Un chiffre dérisoire avouons-le. « Dans l’école de mon fils, de nombreuses astuces sont mises en place, comme garder peu d’objet sur les tables pour garder l’attention, ou leur permettre de se lever. »
Dans l’imaginaire commun, diagnostiquer l’enfant apparaît encore trop souvent comme un renoncement, notamment pour les parents. Pour ces derniers, ils ont failli, mais pour autant accepter d’être aidé signifie-il vraiment renoncer ou plutôt avancer ? Dans la BD, l’idée est amenée que l’enfant, aidé par un psychiatre et un médicament, s’adapte au système de l’école et non l’inverse. Or, l’éducation est un travail collectif et il ne s’agirait pas de nier l’individualité d’un enfant pour le plus grand nombre.
Dans la mise en page, la BD peut rappeller le livre Le premier qui dort réveille l’autre de Jean-Edern Hallier. L’auteur raconte la vie au premier abord anodine d’un frère malade entrecoupé de documentations scientifiques. Ces dernières, comme dans la BD, mettent en lumière le fonctionnement atypique de l’enfant. Dans les deux ouvrages, chaque chapitre est clos par des informations médicales et scientifiques vulgarisées. « Lors de nos recherches pour notre fils, nous avons été assez vite découragés par ce qu’on lisait. C’était des termes médicaux, parfois obscurs… » confie Marion Sanze. « Les passages de documentation servent à cela. »
Ce dialogue permanent entre vie quotidienne joyeusement mouvementée et informations médicales est bien pensé. Il permet ainsi d’aborder le thème de la concentration sectorisée. Dans les pages sont confrontés le manque d’attention de Noah à l’école et sa capacité à se concentrer sur des tâches à la maison, ce qui révèle la faillibilité des parents dont le trouble de l’enfant est leur quotidien. Cette opposition est d’ailleurs révélatrice de l’idée communément admise qu’une personne qui peut se concentrer n’a pas le TDAH alors que le trouble est plus complexe qu’il n’y paraît. Dans le cerveau TDAH, le circuit récompense synaptique est dérégulé. L’enfant aura du mal à se concentrer sur une tache qui l’ennuie, mais quand cette dernière le passionne, il peut rentrer dans un état d’« hyperfocalisation » où plus rien n’existe en dehors et devenir rapide et efficace. Le TDAH rend la concentration fluctuante et inégale, mais loin d’être impossible.
Comme le père de Noah le souligne, son fils peut être hyper concentré sur des jeux pendant des heures, mais être totalement ailleurs à l’école. Qui l’en blâmerait ? Star Wars est à bien des égards plus intéressant que l’école… Mais là où d’autres enfants arrivent à passer outre l’ennui, la plupart des enfants TDAH en sont physiologiquement incapables.
Dans leur long cheminement parental, Julia et Marcus vont entendre de tout, comme dans la chanson des Drôles de dames : problèmes d’éducation, simple traits de caractère, laxisme des parents, problème de maturité, fainéantise, manque de volonté ou encore fantasme parental d’un trouble à la mode, dur de s’y retrouver. Une chose est sûre le diagnostic du TDAH est mal-aimé, symbole du diagnostic « fourre-tout ».
« Les lectures sur le sujet étaient déprimantes, insistaient sur le côté maladie, son côté invalidant… Ça fait peur aux parents. »
Marion Sanze
Mais ce dont souffre véritablement le TDAH, c’est d’une mauvaise médiatisation venue des États-Unis, qui représente des enfants surexcités, voire dangereux, des parents aux traits tirés par la fatigue et des frères et sœurs mis de côté et dépressifs. Ces cas d’enfant tyrannique sont extrêmes et rares, les USA ont stigmatisé l’ensemble en représentant une minorité de cas. Mommy de Xavier Dolan en est un exemple. Le film raconte l’histoire de Steve, un adolescent à problème dit TDAH. Selon l’analyse d’experts, Steve n’a pas les symptômes du Trouble de l’attention, mais ceux d’autres tel le Trouble de Conduite (TC) et le Trouble Oppositionnel avec Provocation (TOP). Cocktail explosif qui rend l’adolescent violent, agressif et en détresse.
La campagne de publicité sur les traitements mis en place en cas de ADHD aux USA, qui prônait une « pilule d’obéissance », a aussi été néfaste à la réputation du médicament et la connaissance du public. Avec le même mode d’action chimique que les amphétamines, l’Aderall américain ou la Ritaline et Concerta français sont souvent considérées à tort comme de la drogue. Les personnes peu sensibilisées s’insurgent, les parents qui ont fait ce choix ont honte d’y avoir recours. Abordé dans la bande dessinée, le Méthylphénidate a également mauvaise presse. Les journaux annoncent d’ailleurs depuis quelques années une « épidémie » de TDAH et donc de surprescription. On imagine une nouvelle génération droguée à la Ritaline, mais les chiffres démentent ces titres. De plus, ce traitement aide toutes les sphères (sociale, scolaire, familiale, etc.) touchées par ce trouble.
Aux USA, loin des 20% annoncés dans les médias, 6% des enfants de 6 à 11 ans se voient prescrire des médicament contre le TDA/H allant de 1% de prescription pour Hawaï jusqu’à 14% en Alabama. En France, on estimait en 2014 que seul 0,3% des enfants de 6 à 11 ans sont diagnostiqués TDA/H et 0,2% se font prescrire du méthylphénidate pour les aider à gérer leurs trouble. Dans tout le monde, en 2020, on estime à plus de 5% les personnes TDA/H avec une répartition homogène entre les pays, on serait en droit d’attendre que 5% des gens sont diagnostiqués TDA/H en France. Pour passer de 0.3% à 5%, il faudrait une augmentation du diagnostic TDA/H de environ 1700%. De 2008 à 2012, l’augmentation était de 44%. Le TDA/H étant une découverte récente, il n’est pas surprenant que son taux de diagnostic augmente rapidement : il faut du temps pour que les médecins soient formés, les symptômes mieux connus du public, etc. Bref, ceux qui crient à l’épidémie en voyant le taux de diagnostic croître ont non seulement tort de crier, mais en plus ils n’ont pas fini de crier…
Au delà du trouble TDAH, d’autres sont abordés au cours de la bande dessinée. Des tests révèlent en effet que Noah est HPI, ce qui n’exclue par le TDAH, les deux étant souvent complémentaires, l’un cachant l’autre. Dans le cas des enfants TDAHP, leur QI permet de comprendre vite, de trouver des tactiques mentales afin de pallier ces difficultés. Si leur côté HPI masque les problèmes de concentration, en sorte de caméléon social, le trouble TDAH reste présent et tous les efforts déployés pour le contrer sont épuisants moralement, voire inefficaces. À terme, le diagnostic et l’aide sont souvent inévitables, faire les démarches quand l’enfant est encore jeune est important. Si l’on va chez le dentiste avant d’avoir mal ou qu’on demande une péridurale avant d’accoucher, pourquoi ne pas anticiper plutôt que d’attendre la souffrance et le besoin de l’enfant ? La médecine préventive vaut aussi en termes de psychiatrie.
Soulevant une multitude de questions, dont les réponses restent ouverte, la BD Les Parents de haut vol se révèle plaisante. Les scènes de la vie quotidienne, peut-être un peu nombreuses par rapport aux scènes de recherche et diagnostic, sont représentatives d’un quotidien TDAH. Il est également très intéressant de voir la famille évoluer : le père réétudie son histoire avec cette nouvelle grille de lecture et la mère apparaît comme l’élément stable de la famille.
D’autres petites scènes quotidiennes font émerger tout au long de la lecture la question du TDAH féminin qui se manifeste différemment que chez les garçons. Comme malheureusement souvent en médecine, la grille d’évaluation en matière de psychiatrie est basée sur le TDAH masculin, ce qui pénalise les filles et femmes qui se font diagnostiquées tardivement, si elles le sont un jour… S’il ne fallait pas tomber vers la banalisation et la romantisation du trouble, Les Parents de haut vol dédramatise bien la situation. La fin ouverte laisse le lecteur sur sa faim de manière vraiment efficace, qui attend une suite de l’histoire pour contrer ce sentiment d’inachevé. Affaire à suivre!
Site des Parents de Haut Vol pour vite découvrir cette BD et en savoir plus sur sa création !
Site de l’association Hypersuper France qui sensibilise au TDA/H.