Vous êtes trop jeunes ou vous êtes passés à côté. Rien de grave. Découvrez ou redécouvrez le chef d’œuvre de Pascal Rabaté réédité en grand format aux éditions Futuropolis. Les Petits Ruisseaux, mais de grandes rivières de tendresse et d’émotion.
Connaissez-vous chèr(e)s lectrices et lecteurs les raisons pour lesquelles un éditeur ressort plus de 15 ans après, un ancien album en grand format ? Ce même éditeur vous écrit que cette oeuvre est « très importante pour notre maison Futuropolis » ? Et pourquoi cette nouvelle édition trouve aujourd’hui de nouveaux acheteurs ? Simplement parce ce que cette BD est devenue au fil du temps un ouvrage incontournable, un classique intemporel. Il ne semble pourtant ne rien raconter d’exceptionnel, en 2006 lors de sa première publication, rien qui ne puisse défrayer la chronique.
Résumer en quelques mots l’histoire des Petits Ruisseaux est d’une grande simplicité : il s’agit d’une histoire d’amour entre un homme et une femme. Pas de quoi sauter au plafond ou se jeter dans la rivière. Pourtant, en 90 pages, Pascal Rabaté va jeter aux oubliettes Roméo et Juliette, Tristan et Yseult ou encore Paul et Virginie. Ces jeunes amants enamourés ne sont rien à côté des amoureux dessinés par l’auteur tourangeau. Certes les deux amoureux, Lyse et Émile, ont plus de 70 ans et plus de souvenirs que de projets. Mais cela ne suffit pas. L’essentiel est ailleurs. Rarement on a raconté l’amour avec autant de tendresse. De simplicité. De réalisme. D’amour tout simplement. Il faut dire qu’Émile, physiquement comme psychologiquement, est d’une douceur infinie. Il pêche pour attendre tranquillement la mort. Il est veuf et l’amour lui semble désormais interdit. Alors pour franchir le cap, le dernier, revivre la douceur et la caresse sur une peau même flétrie dans un drap de lit, dans la pénombre d’une chambre obscurcie, il faudra des étapes, beaucoup d’étapes. Celle d’un ami disparu, celle d’une jeune communauté de marginaux et puis il faudra l’aide implicite d’amis, ces amis du bar d’à côté, ceux qui ont la langue légère pour dire souvent des banalités mais qui sont bien présents lorsque la voiture est en panne. Lorsque l’envie d’en finir vous prend.
C’est doux, on l’a déjà écrit, mais c’est tellement juste. Émile n’est pas un vieil acariâtre écœuré de la vie. Il parle peu, sourit rarement, mais son sourire vaut des fous rires. Son fils et sa belle-fille l’aiment et ne l’ont pas abandonné. Il traîne simplement sa langueur, son silence, celui qui l’emmène à pêcher des heures entières. La vie se termine. Quant à Lyse, pimpante, elle est pleine de joie. Elle ose plus et ses lèvres rosissent pour un nouveau départ. À les regarder dans leur magnifique pudeur maladroite, on les aime ces deux nouveaux amants comme comme on se prend de sympathie pour tous ces personnages, bouleversants de simplicité et d’humanité. Cela pourrait être scabreux. C’est magnifique.
Les silences côtoient à la perfection les dialogues qui disent juste le nécessaire et le vrai. Le récit est comme ces boîtes à chaussures dessinées sommairement en guise de voiture. Aucune importance que ces cubes à quatre roues ressemblent ou pas aux véhicules de notre temps. La vie est ailleurs. Elle est dans les mots, les paroles, les silences, les regards et toutes ces petites choses de la vie qui font LA vie.
Il n’est pas seul Rabaté à dire ces choses de l’existence a priori banales. C’est une génération d’auteurs que l’on retrouve ainsi à raconter des personnages à la Tati, hors des villes, des modes, ces gens de peu dans une province oubliée. On les retrouve ces silhouettes anodines chez des compagnons de dessin comme Davodeau près de la Loire angevine ou David Prudhomme dans sa région castelroussine. En leur compagnie, on devine Rabaté, humer l’air du temps au comptoir d’un bar ou sur le marché en plein air du dimanche. Il chope les conversations, les petites phrases anodines et en fait des dialogues cousus main. Pas de banquier, de journaliste ou de personnage de télé mais plutôt un boucher, un poissonnier, un cafetier.
Après Les Petits ruisseaux qu’il adaptera au cinéma en 2010, Rabaté continuera et continue sa quête du quotidien. La Marie en plastique, Vive la Marée (avec Prudhomme), Crève Saucisse ou encore Didier ou la cinquième roue du tracteur (avec Ravard au dessin) prolongent cette poésie du quotidien. Il faut aimer sacrément les gens pour raconter leurs histoires intimes, pour les dire de manière si justes et si pudiques. Les aimer et savoir les écouter et les regarder.