Avec cette adaptation graphique du roman Les Travailleurs de la mer de Victor Hugo, Michel Durand nous emmène dans un récit maritime épique, entre Jules Verne et Gustave Doré. Magnifique.
Il faut oser. Michel Durand a osé. Et il a bien fait. Adapter en images un roman de Victor Hugo n’est pas chose aisée. D’abord il y a la taille des ouvrages et la nécessaire synthétisation de l’histoire qui dépasse souvent les 500 pages. Il faut choisir les phrases parmi la prose prolifique de Hugo. Ensuite il y a le style, souvent imagé de Hugo et sa flamboyance. Enfin, il y a la narration multiple et ses nombreux personnages complexes.
Ses caractéristiques, Les travailleurs de la mer, septième des neuf romans de l’écrivain, les possède toutes. Le romancier est en exil sur l’île anglo-normande de Guernesey depuis une dizaine d’années quand il rédige ce récit qui se déroule sur l’île elle même à laquelle Hugo emprunte sa géographie, ses lieux et peut être même quelques personnages. La mer est omniprésente, elle est la toile de fond et c’est par elle et ses dangers que l’on entre dans l’adaptation graphique du texte. Aux mots et aux descriptions enflammés de Hugo, Michel Durand donne des images oniriques emplies de diables, de créatures ensorcelées dans des volutes qui dessinent la houle, comme les nuages ou encore les rêves. Les dessins apportent aux mots une dimension épique supplémentaire. Ce sont eux qui frappent le lecteur d’entrée par la technique si particulière à laquelle le dessinateur ne nous avait pas habitué. Quand Lomig utilise de manière privilégiée le point pour montrer notamment la lumière, Durand ici trace des traits, des hachures qui fixent les contours des choses comme de la nature, rendant par contre plus fragile la construction des visages. Cette dimension en noir et blanc restitue parfaitement le drame d’une histoire qui prend parfois la forme d’un conte. Sur l’île vit un taiseux, banni de la population. Il s’appelle Gilliat. Seul sur son ilot, il voit passer le premier bateau à vapeur qui relie Guernesey au continent. Ce navire qui change la vie des iliens appartient à Mess Lethierry, vieil armateur abritant dans sa demeure, sa nièce la belle Deruchette, un cœur à prendre. Les personnages sont typés, dès le départ : les bons, les méchants, mais finalement tout s’avèrera plus complexe et le vieil homme sera trahi par un « honnête homme » qui coulera sciemment son navire, La Durande. Ruiné, il promet à celui qui récupérera son moteur naufragé, la main de sa nièce. On le devine Gilliat, amoureux transi, va tenter l’opération au péril de sa vie. Et de son amour.
Le foisonnement des illustrations colle à la multiplicité des approches du roman à la fois, drame romantique, récit fantastique, fable épique. On suit et on regarde le combat titanesque de Gilliat contre les hommes qui le détestent, mais surtout contre les éléments et les animaux terrifiants. Une pieuvre, à la manière des romans de Jules Verne, est le symbole d’un océan indomptable.
Les rochers précisément désignés et dessinés sont des personnages maléfiques, veilleurs et guetteurs cruels des passions des hommes et des femmes.
Hugo va vivre près de vingt ans à Jersey, Guernesey. Il y côtoie une mer souvent déchaînée, mais qui peut parfois se révéler, comme un symbole de l’existence, accueillante et douce. Dans ces moments là, les hachures de Durand se resserrent à l’horizontale et montrent des paysages romantiques. Par sa multiplicité de visages, l’océan sublime le combat de Gilliat et le transforme en héros romantique inoubliable, prêt à s’abandonner totalement, à se laisser engloutir par amour, jusqu’à ce qu’il « n’y eu plus rien que la mer ».
Les éditions Glénat offrent à cette magnifique adaptation un très bel écrin avec un grand format qui donne l’espace nécessaire aux dessins, un papier épais qui rappelle celui des gravures anciennes à la Gustave Doré et une couverture en relief sublime. La BD de Michel Durand, qui n’a pas craint de se confronter aux 36 illustrations du poète lui même, ne paraphrase aucunement le texte de Hugo. Elle le complète, le sublime et qualité indéniable chez une adaptation réussie, elle donne envie d’aller dans le texte originel, même si ce roman n’a pas injustement la notoriété des Misérables ou de Notre Dame de Paris.
Les travailleurs de la mer, adaptation du roman de Victor Hugo par Michel Durand, éditions Glénat, 152 pages, 35€. Parution : 16 octobre 2024