BD Les vents ovales, un grand bol d’air…

bd vents ovales

Mai 67 dans le Sud Ouest. Une petite révolution se prépare au pied des poteaux de rugby. Aude Mermilliod, Jean-Louis Tripp et Horne signent avec la BD Les vents ovales une comédie sociale qui fait du bien.

Voilà une bande dessinée qui sent bon la terre du Sud Ouest, celle des champs agricoles comme celle des terrains de rugby. On y devine l’odeur fruitée de l’Armagnac (à consommer avec modération!), la chaleur estivale intense des centres aérés, le bruit de la craie sur le tableau de la classe, le grondement des Micheline, ces trains au confort modeste. On y goûte un p’tit verre de nostalgie mais pas la nostalgie du « c’était mieux avant », plutôt celle du « c’était différent avant ». La Garonne et un pont séparent deux communes, concurrentes mais finalement si ressemblantes jusque dans leurs équipes de rugby, aussi faibles l’une que l’autre. Un prêtre en soutane et un chef de l’entreprise de briqueterie locale entrainent leur collectif, chacun à sa façon, mais pour des résultats aussi médiocres à Castelnau qu’à Larroque.

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Cela ressemble à un « Don Camillo et Peppone » français même si le communiste cette fois-ci n’est plus le maire mais l’instituteur. Dans l’ombre des rues on rencontre aussi un vieux marquis, survivant du monde d’avant qui range sa bibliothèque et un cordonnier surnommé « Le Grec » un peu apatride, un peu révolutionnaire. Tout cela fait une jolie communauté certes pas unanime mais fraternelle où les placages, comme au rugby, servent parfois de préludes aux embrassades et au banquet d’après match. Nous sommes en 1967. Montauban vient de gagner le bouclier de Brennus et l’autoroute est embouteillée par des DS 21 et des Coccinelles. Surtout on sent dans l’air comme un changement approchant, un air de révolution.

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Ce sont deux femmes qui vont bouleverser l’ordre établi. Yveline, qui donne son prénom au titre de l’album, vient de décrocher son bac avec mention Très bien. Elle va quitter sa commune pour rejoindre Paris et y faire ses études. Direction Nanterre. La seconde, Monique, veut passer son permis de conduire et travailler après avoir passé son diplôme de prof de sport. Fille « de », elle veut vivre avec qui bon lui semble, même si son amoureux est communiste. Son père, notable et patron local, doit encaisser et se soumettre. A elles deux, elles font bouger les lignes, commencent à modifier une culture et une structure sociale pérennes depuis des décennies. Elles soufflent ces nouveaux courants d’air porteurs d’espérance et de libertés nouvelles.

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On devine l’écriture à quatre mains de Aude Mermilliod et Jean-Louis Tripp. On imagine la scénariste derrière ces deux jeunes filles en train de s’émanciper. Elle est probablement là quand il faut écrire les cases qui disent la peur de la « première fois » des jeunes femmes à une époque où la contraception est balbutiante, mais aussi dans la description du sentiment amoureux féminin, plus hésitant et problématique que celui des garçons qui ne redoutent rien. Elles sont les personnages forts du récit.

Jean Louis Tripp nous avait confié, quant à lui, ne plus jamais vouloir travailler pour la fiction, concentré qu’il était désormais sur ces romans graphiques biographiques. Pour excuser cette incartade, on admettra qu’il y a encore beaucoup de la vie du dessinateur de Verdun-sur-Garonne dans cet album. L’univers de sa jeunesse, l’engagement militant de son père, son amour continu du rugby avec l’annonce de ses combinaisons tactiques, qui sont visiblement des souvenirs des entraînements passés de l’auteur (et ne seraient pas désavouées par le Stade Toulousain).

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Les deux communes de Castelnau et de Larroque, a priori coupées du monde, entrent pourtant, sans le savoir, dans une tempête mondiale qui va bouleverser notamment les moeurs d’une grande partie de la planète. Pour nous le rappeler chaque mois raconté est précédé de quelques évènements marquants de l’actualité de l’époque, séisme sismique comme séisme politique ou faits divers. Nous sommes, comme le rappelle dans une très belle postface l’historien Sylvain Venayre, en plein dans les Trente Glorieuses, cette période de « révolution invisible » racontée par l’économiste Jean Fourastié. Invisible certes, mais on sent pourtant les prémices de ce mouvement à travers les personnages féminins essentiellement qui aspirent à un avenir différent de celui de leurs parents.

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A la lecture, on pense bien entendu au Magasin Général de Tripp et Loisel, série qui racontait la vie d’un petit village québécois des années vingt. Cette fois encore, une communauté est à la recherche d’un équilibre social, privilégiant les intérêts communs et le bonheur de vivre ensemble.

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Le dessin de Horne par sa bonhommie, sa capacité à dessiner des trognes sympathiques, s’est enrichi de cette atmosphère du Sud Ouest, pleine de lumière et d’ombres marquées. Lui, qui avoue ne rien connaître au rugby, a su saisir ces gestes qui font aller le ballon vers l’arrière pour aller de l’avant. Un paradoxe comme un clin d’oeil politique peut être. 

Le récit se termine en septembre 1967 et Yveline part pour Nanterre. Il faudra attendre deux autres tomes pour voir le joli mois de mai suivant. Trois tomes comme les trois mi-temps de rugby, qui se terminent toujours « dans la joie et la bonne humeur ». C’est du moins ce qui se dit habituellement.

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Les vents ovales. Tome 1: Yveline. Dessin: Horne. Scénario: Aude Mermilliod et Jean-Louis Tripp. Couleurs: Delf. Couleurs de couverture: Jerôme Maffre. Editions Dupuis. Aire Libre. 136 pages. 26€.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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