BD. L’Escamoteur Gabriel Chanine disséqué par Goethals et Colin

bd l'escamoteur

Avec L’escamoteur paru aux éditions Futuropolis, Goethals et Colin, dans une enquête digne d’un roman d’espionnage, approchent la personnalité de Gabriel Chahine, proche du groupe terroriste Action Directe et informateur des Renseignements Généraux. Formidable album qui mêle suspens et réflexion politique. À ne pas manquer.

Jean Marc Rouillan, Nathalie Menigon, Georges Cipriani, Joëlle Aubron. Ces noms sont associés dans la mémoire collective au noyau dur d’Action Directe (AD), groupe terroriste constitué le 6 février 1979, pour lutter contre toutes les formes de capitalisme. AD revendiquera plus de quatre vingts attentats, une dizaine de braquages, occasionnant quatorze victimes, cinq assassinats dont celui de Georges Besse, patron de la Régie Renault. Leurs histoires sont bien connues, certains des terroristes ou des policiers de l’époque ont notamment publié ultérieurement leurs souvenirs. Un nom et un prénom associés de très près à ce groupe est resté dans l’ombre, ne faisant jamais la une des journaux. Sa silhouette de barbu, aux cheveux longs, aux vêtements hippies des années soixante-dix fait la couverture de la BD. Son visage est dans l’ombre comme un symbole. Il s’appelle Gabriel Chahine.

bd l'escamoteur

C’est avec cet homme, que les auteurs du Voyage de Marcel Grob vont raconter une partie de l’histoire d’AD : « On ne cherche pas à écrire un livre sur l’histoire de l’extrême gauche en France mais sur le destin d’un personnage trouble et intrigant au cœur de l’époque. L’histoire d’un homme qui voulait avoir une vie plus grande que la sienne », écrivent les auteurs qui se mettent directement en scène dans la bd.

Dire des décennies plus tard la vérité sur un homme aux multiples facettes, déroutant, semble une gageure difficile à tenir. Sebastien Goethals et Philippe Colin ne prétendent à aucun moment approcher la vérité sur Gabriel mais « l’humain se cache et existe dans ses contradictions pas vrai ? ». Muni de ce credo, c’est à une véritable enquête policière que vont se livrer les auteurs, enquête auprès des flics de l’époque, de l’épouse de Chahine, de son ami et de tant d’autres rencontres parfois hasardeuses qui vont dire une époque et un contexte politique si original dans laquelle le gauchisme français post soixante huitard tient une place particulière à côté des Brigades Rouges italiennes ou de la Bande à Baader allemande.

Tout commence à Toulouse en 1974 : un artiste peintre libanais, donneur de leçons à la jeune génération attablée aux terrasses de café, rencontre Jean-Marc Rouillan, jeune militant anarchiste engagé notamment dans la lutte contre Franco. Gabriel Chahine, par sa désinvolture, son bagou, sa capacité à séduire, plait immédiatement au futur membre du groupe terroriste. Ainsi débute, de manière fractionnée chronologiquement mais avec une grande limpidité scénaristique, le portrait d’un homme qui s’invente de multiples vies et s’adapte à son interlocuteur: « il avait un tel flair pour capter les gens et les charmer ».

bd l'escamoteur

Sa claudication ? Une balle reçue en 1956 en défendant le canal de Suez avec l’armée française ? Ou plutôt une balle reçue dans un combat auprès des palestiniens ? On flotte ainsi en permanence entre faux semblants, mensonges et vérités. Les questions se multiplient, mais progressivement grâce à la minutieuse enquête des auteurs se dégage le portrait d’un homme partisan du général de Gaulle qu’il rencontre et interpelle enfant, d’un homme amoureux de la France qui craint de devoir retourner combattre au Liban, d’un homme arabophone qui a tout pour séduire … les services de renseignements français. D’un homme qui veut exister, mais porteur semble t’il de réelles convictions comme celle de ne pas voir commettre de meurtres.

Dans ce véritable portrait de ses années Giscard et de l’arrivée imminente de la gauche au pouvoir, les RG, les flics, les hommes politiques naviguent entre la nécessité de combattre le terrorisme et la prise en compte d’arrières pensées électoralistes. Les rêves de Mai 68 sont loin et la réalité de la politique a repris le dessus. Agir immédiatement avant la campagne présidentielle de Giscard, libérer Rouillan après Mai 81 pour en faire un bras armé au service du pouvoir socialiste contre l’extrême droite, c’est à une véritable partie de bonneteau que l’on assiste, symbolisée par le tableau attribué à tort à Jérôme Bosch, qui donne son nom à la BD : L’escamoteur, un tableau qui démontre que « tout n’est qu’artifice et personne n’est réellement ce qu’il semble être ».

Au delà de la personnalité fascinante de Gabriel Chahine, les auteurs qui refusaient de raconter l’histoire d’Action Directe en transformant les acteurs en héros ou en salauds, nous invitent à nous interroger sur ces terroristes, mélanges d’idéologues, d’utopistes, dont on se demande quelle est la part d’égocentrisme dans leurs motivations. On fait alors le rapprochement avec le roman formidable de Monica Sabolo, La vie clandestine (Gallimard, 2022) dans lequel l’autrice, qui comme Sébastien Goethals avait un lien familial avec le mouvement AD, enquête pour tenter de comprendre ce qui pousse des hommes et des femmes en quête d’utopie à perdre toute considération pour la vie humaine. Monica Sabolo s’interrogeait en rencontrant Nathalie Menigon. Goethals et Colin le font en reconstituant la vie et la personnalité de Gabriel Chahine. Ils allient remarquablement des questions philosophiques et historiques avec un récit qui se lit comme un roman policier.

L’Escamoteur. Récit de Sébastien Goethals (dessin) et Philippe Colin sur une idée de Sébastien Goethals. Éditions Futuropolis. 320 pages. 26€. Parution : Octobre 2024

Lire un extrait

Article précédentParis. 100 ans des vitrines illuminées, un parfum de Noël flotte au-dessus de la capitale
Article suivantQuimper. Le Musée départemental breton se met à la mode du Poher jusqu’au 31 décembre
Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici