Reiser est éternel. La publication de plus de 200 de ses dessins et planches démontre comment, un demi-siècle plus tard, il avait « un temps d’avance », sur la dénonciation de la condition féminine. Comme Truffaut, Reiser aimait vraiment les femmes qu’il traitait d’égal à égale. Formidable de modernité et d’actualité.
Reiser : L’homme qui aimait les femmes. Un titre compréhensible et attendu. Par contre le sous-titre peut intriguer : Une histoire du féminisme. Si l’on observe rapidement le dessin de Reiser on peut associer la femme à un objet sexuel, de désir, toujours aguicheuse, provocatrice dans ses attitudes, ses paroles. Seins à l’air, bouche grande ouverte, la femme de Reiser n’est pas la Vénus de Milo.
En réfléchissant un peu plus, on se dit que l’homme n’est pas terrible non plus. « Gros Dégueulasse », personnage emblématique est même carrément nul, ignoble, bête. Il est LE repoussoir ultime. La préface de Jean Marc Parisis nous éclaire alors d’entrée :
« S’il fut, par la diversité de ses sujets, le plus grand dessinateur de la cause des femmes, s’il les a aimées comme peu savent aimer, il ne les a jamais mythifiées, sanctifiées ».
En somme il les aurait traitées comme les hommes « pour le meilleur et pour le pire ». Gros Dégueulasse trouve normalement son égal féminin avec Jeanine, cette femme « mère, réfractaire à la vaisselle, souillon transcendantale, nicotine et narcissique » et qui n’est pas sans lien avec l’enfance difficile du dessinateur, né de père inconnu et élevé par sa mère seule. Égalité hommes et femmes jusque dans la bêtise donc.
Mais en quittant l’apparence du dessin et en se plongeant dans les 230 pages que propose ce beau livre, on découvre alors le bien-fondé du sous-titre car c’est bien la lutte des femmes des années soixante-dix, quatre-vingts, que Reiser a accompagnée, voire précédée comme le précisent d’ailleurs quelques témoignages de personnalités féminines, au cas improbable, où les planches ne suffiraient pas.
Reiser, ce beau gosse dont une amie disait, en le regardant, « c’est comme si l’on m’avait jeté un bouquet de tulipes fraîches à la figure », Reiser a une détestation profonde pour ces hommes ivrognes, indignes, horribles qu’il dépeint, inconséquents, accrochés à leurs bouteilles. Aucune planche ne peut mieux résumer son attitude que la première de l’album : à gauche, un père et son fils. Le « vieux » est accroché à sa table et à son litron. À sa droite, une femme sans charme, fait la vaisselle. Le père demande à son fils « Qui a la plus belle maman ? La plus élégante ? La plus propre ? » . Et le fils de répondre à chaque question : « C’est moi ». Et le père de conclure : « Tu as entendu maman ? Alors tu n’as plus besoin de ton eau de Cologne » et de s’enfiler le litre de parfum.
Tout Reiser est là; dans le dessin au trait a priori relâché, plus crobar que croquis et dans des dialogues tendus, millimétrés et violents. Jeanine laisse alors la place à des femmes capables de dresser un bras d’honneur à tous ceux, et ils sont encore nombreux, qui veulent la réduire à un « homme » de seconde zone, la fameuse « maman » ou « bobonne » termes terrifiants que le dessinateur renvoie comme un boomerang aux hommes « bêtes et méchants », comme le sous-titre du journal Hara-Kiri auquel il a participé.
L’ouvrage alors résonne avec l’actualité la plus brûlante et si l’on ne connaissait pas la mort du dessinateur en 1983, tous les dessins pourraient avoir été croqués cette année : viols, agressions sexuelles, avortements, égalité hommes-femmes, femme objet, aucun sujet n’est oublié et apparait en filigrane l’image d’un mâle prédateur, que le deuxième ou troisième degré rend improbable.
Les hommes sont moches dans leurs relations avec les femmes. Les femmes sont belles car non idolâtrées, elles sont battantes, convaincantes, ardentes et libres. Compagnon de route du MLF il déclare en 1977 :
« Les femmes que je montre sont capables de juger, de ricaner, de faire des réflexions en aparté. C’est une attitude toute nouvelle, face à un personnage masculin souvent ridicule ou mesquin ».
Le mouvement militant, Reiser l’a accompagné, regardé, observé, approuvé, mais il a toujours préféré placer ses dessins, ses observations dans la zone privée. Son regard, il le transporte dans la chambre à coucher, dans la cuisine, dans le café où l’on discute. Dans les espaces de l’intime. Là où se déroule l’universel.
Bras d’honneur sur la couverture d’aujourd’hui, on a bien envie de terminer cette chronique par la couverture de l’album paru en 1978 : Vive les femmes. Une femme souriante met la main aux fesses d’un homme heureux. Comme un renversement de situation et d’époque.