Avec sa BD Malaterre Pierre-Henry Gomont nous emmène sur les traces d’un « connard sympathique », un père ignoble et odieux, qui va abîmer sa famille dans sa quête d’un projet en Afrique équatoriale irréaliste et perdu d’avance. Riche comme un roman, beau comme une BD. Une réussite.
Ce qui est bien avec les grands dessinateurs c’est que l’on identifie rapidement leurs créations. Il en va ainsi de Pierre Henry Gomont. Dans sa précédente BD Pereira prétend, on avait appris à reconnaître ses traits noirs plein de circonvolutions, comme jetés rapidement sur le papier, sans le répit de la moindre ligne droite, dans un apparent fouilli. Ses personnages lorsqu’ils sont filiformes ressemblent au Monsieur Hulot de Jacques Tati, se débattant dans un air trop large pour eux. Gomont jette ses couleurs de la même manière, traçant des nuages moelleux comme des oreillers, privilégiant les ocres qui restituent la chaleur de Lisbonne ou dans Malaterre d’une forêt tropicale.
La luxuriance de la forêt, étouffante et grandiose, c’est ce qui attire certainement Gabriel, homme inconséquent, rêveur, et immature qui veut reprendre et reconstruire le domaine d’exploitation forestière Malaterre (mal à la terre?) abandonnée en 1929 par ses aïeux en faillite dans cette Afrique équatoriale fantasmée. Dire que Gabriel est un être détestable est un euphémisme même si en commençant par sa mort, Gomont nous donne quelques pistes pour comprendre son attitude envers son épouse notamment et ses trois enfants.
Tout au long de ce roman graphique (rarement cette définition n’a autant parfaitement collé à une BD), découpé comme un roman en chapitres, nous découvrons la vie de cet homme qui un jour va partir à la recherche d’un possible futur glorieux, abandonnant sa famille à ses chimères, avant de faire venir dans la forêt, de manière odieuse, les deux aînés de ses enfants dans la perspective unique d’une poursuite familiale de l’exploitation.La seule relative faiblesse de la BD est que ce personnage de Gabriel rappelle d’autres « anti-héros » de la littérature, du cinéma ou de l’actualité. On a déjà parfois eu l’impression d’avoir rencontré ce personnage à la Christophe Rocquencourt, égocentrique et charmeur. Avec son visage émacié à la Gainsbourg, Gabriel Lesaffre « faisait partie de ses personnes qui ignorent purement et simplement les sentiments, pour autant qu’elles ne les éprouvent pas elles mêmes ».
Le récit nous le décrit sans complaisance, sans jugement et il arrive parfois que l’on ressente même un peu de sympathie pour ce personnage odieux, muré dans ses rêves de grandeur. Comme le dit l’auteur, « Gabriel fait tout pour qu’on ne l’aime pas et on l’aime quand même ». Cette ambivalence est une des forces de la BD. Au fur et à mesure du récit, les deux enfants qui l’accompagnent, à la fois pris en otage mais aussi parfois libres, prennent de l’importance, sous l’oeil d’un père témoin aveugle de leur évolution et de leur passage de l’adolescence à l’âge adulte. Mathilde et Simon sont la conscience de Gabriel et du lecteur, capables pour leur part d’amour, de sentiments et d’une attention aux autres. Ils jettent eux aussi un regard amoureux sur cette végétation, qui n’est pas seulement une source de revenus mais aussi un cadre de vie où il fait bon de s’aimer, de s’embrasser, de vivre. En grandissant, seuls parfois abandonnés dans un appartement loin de la forêt, ils découvrent qu’ils aiment à leur manière leur père dont la mort leur montrera un autre visage. Gomont excelle, avec son trait a priori brouillon, pour montrer toute la beauté de cette liberté de vivre, la beauté et la moite chaleur qui étouffent la respiration de Gabriel,victime des degrés Celsius et du poids de son existence ratée de manipulateur.
Il fume Gabriel et la fumée révèle toute l’étendue de ses émotions qu’il contient et réfrène. Une fumée rouge parfois comme sa colère qu’il recrache. « Manier son petit théâtre d’ombres pour faire signer le clampin en bande la page, ça, Gabriel sait faire ».
L’auteur, lui, sait magnifiquement mener son récit, riche en psychologie et en événements. Il se révèle, sans l’aide cette fois ci d’un romancier, un véritable écrivain, un écrivain utilisant à la perfection les mots et leur apportant une dimension supplémentaire avec des dessins ouvrant encore plus les portes de notre imaginaire. Une définition parfaite de la Bande Dessinée.
Malaterre de Pierre-Henri Gomont. Editions Dargaud. 190 Pages. 24 €. ISBN: 978 2 5050 72751.
Prix BD RTL. A noter une superbe édition spéciale tirée à 777 exemplaires accompagnée d’un tiré à part signé par l’auteur et d’une magnifique jaquette, 35 €.
DESSINATEUR : PIERRE-HENRY GOMONT
SCÉNARISTE : PIERRE-HENRY GOMONT
COLORISTE : PIERRE-HENRY GOMONT
PUBLIC
ADO-ADULTE – À PARTIR DE 12 ANS
Prochaine dédicace le 26 oct 2018
DÉDICACE DE PIERRE-HENRY GOMONT À MONTREUIL
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