BD. Dans le prolongement de L’Arabe du Futur, il y a Moi, Fadi le frère volé

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Avec Moi, Fadi le frère volé, dont le premier tome (1986-1994) paraît le 8 octobre 2024 aux éditions Livres du Futur, Riad Sattouf apporte un éclairage complémentaire à son histoire personnelle. Histoire d’un enlèvement d’enfant.

On pourrait s’y méprendre.
La couverture ressemble à celles de l’Arabe du Futur.
Le format et le dessin sont identiques à ceux de l’Arabe du Futur.
L’auteur est le même que celui de l’Arabe du Futur.
Et pourtant Fadi n’est pas l’Arabe du Futur.

Riad Sattouf a bien achevé en 2022 son récit autobiographique dessinant son enfance et son adolescence comme fils aîné d’une mère française et d’un père syrien séparés. Pourtant le lien avec les six tomes parus est évident et voulu. Le titre, Moi Fadi, le frère volé dit beaucoup et explique l’apparentement de cet album avec l’histoire du dessinateur. Les lecteurs attentifs de l’Arabe du Futur se souviendront qu’à la fin du quatrième tome, Riad révèle que leur père syrien, aujourd’hui décédé, quitte son épouse française sans prévenir, et part définitivement pour son pays, la Syrie, en enlevant son troisième fils. Les deux frères ne se retrouvent qu’à la fin du sixième tome.

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Après ces retrouvailles Riad Sattouf va recueillir en 2011 et 2012 les propos et souvenirs de son frère éloigné. C’est à lui qu’il donne la parole dans cet album.

Dix ans vont donc être nécessaires pour passer du récit de Fadi, à une bande dessinée, un délai nécessaire sans doute pour un cheminement que l’on devine douloureux, comme est douloureux le parcours de son frère. « Frère volé » dit le titre de l’ouvrage telle une atténuation grammaticale à l’attention du lecteur, qui aurait plus envie d’écrire « Frère enlevé ». C’est bien l’histoire d’un enlèvement qu’il s’agit, celui d’un enfant de trois ans, emmené frauduleusement par un père syrien dans son pays natal. Le père dans l’Arabe du Futur est peu sympathique, inconséquent. Le récit de Fadi durcit le ton et noircit l’image d’un homme qui apparaît ici plus lucide et plus cynique. La séparation du couple de parents est aussi plus violente, la colère de la mère plus forte. Le tableau est sombre, sans sourire ni blague.

La brutalité est dominante dans le récit, pas une brutalité physique, mais celle de l’emprisonnement mental d’un enfant séparé de l’amour de sa mère, de son univers natal et familial. Brutalité lorsque Fadi regarde un film en français avec Alain Delon et s’aperçoit qu’il ne comprend plus les dialogues. Brutalité lorsque se reprochant d’oublier sa grand mère bretonne les mots qui lui viennent sont « je cherche refuge auprès de Dieu, contre le Satan maudit … ». Fadi raconte l’instrumentalisation par un adulte d’un enfant pour le forcer de manière inconsciente à changer de culture, à devenir un allié dans une lutte entre ex-époux.

Même la famille du père de Fadi désapprouve son enlèvement jusqu’à ce que ce dernier leur explique qu’il s’agit en fait de retirer Fadi des mains des mécréants français pour en faire un bon musulman. Seul le sentiment de l’absence de la maman et de son amour résistent à une rupture totale avec la famille et le pays d’avant. En creux, Riad Sattouf dénonce un monde fictif, fondé sur des croyances et non sur la raison, un héritage ancestral et traditionnel repris à son compte par un père dont on hésite à penser s’il est stupide ou éhonté.

Le style graphique de Riad Sattouf est désormais connu et reste d’une grande efficacité. Utilisant peu de couleurs, celles ci prennent toute leur signification quand elles sont posées de manière inhabituelle. Le vert, le noir, le rouge, remplissant totalement une case, montrent plus que des mots la terreur, le cauchemar.

Fadi Riad Sattouf

On imagine Riad Sattouf à sa table de dessin, probablement ému d’écouter les propos d’un frère qu’il a peu connu jusqu’alors. On se demande si les 10 ans écoulés pour traduire en dessins les mots de Fadi étaient le temps nécessaire pour absorber des souffrances. On se demande si la colère est présente. On se demande s’il s’agit de rendre hommage, ou justice, à un frère inconnu. La suite à venir de cet album qui couvre les années 1986 à 1994, nous apportera peut être les réponses à ces questions. Ce dont on est certain c’est que Fadi éclaire et complète magnifiquement l’Arabe du Futur. Il fait partie de la même histoire. Celle d’une famille éclatée.

Moi, Fadi le frère volé de Riad Sattouf. Éditions Les livres du futur. 144 pages. 23€. Parution le 8 Octobre.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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