Naduah. Cette BD « western » n’en n’est pas une. Du western, elle conserve le Texas, les Indiens et les cow-boys. Mais en racontant l’histoire véridique d’une enfant enlevée par les Comanches et ramenée chez les Blancs, elle dit beaucoup d’un monde où les hommes décident unilatéralement du bien et du mal. Superbe de finesse et d’amour.
Voilà une BD étrange et en même temps remarquable qui allie deux sentiments contradictoires : la violence et la douceur. La violence c’est celle des westerns, de la période de la conquête de l’ouest, celle de la guerre des colons contre les Indiens. La douceur c’est celle de l’amour d’un père pour sa fille, et surtout de cette petite fille pour une femme « Naduah ». Naduah, un credo, un nom mille fois répété comme un mantra, une injonction. Naduah c’est le nom Comanche de Cynthia Ann Parker, petite fille blanche enlevée par les Indiens, élevée par eux et qui sera kidnappée une seconde fois à sa famille adoptive par les Rangers blancs pour la ramener, contre sa volonté, à ses « origines ». « Cœur enterré deux fois » dit le sous titre de l’album avec justesse.
Tel un slogan, Naduah, ce nom qui figure en titre sur la couverture comme un manifeste est la frontière entre deux civilisations, deux modes de vie. Cynthia la blanche, Naduah, l’indienne, deux identités contradictoires dont une que l’on souhaite imposer à l’enfant devenu femme.
Les cinéphiles reconnaîtront tout de suite dans ce scénario tiré de la véritable vie de Cynthia Ann Parker, le prétexte du film de John Ford, La Prisonnière du désert. Et la BD ne passe pas à côté de la loi du genre avec notamment l’évocation des plaines arides et surchauffées du Texas mais grâce à une mise en page variée qui alterne toutes les formes possibles de gaufrier, avec ou sans cases même, la narration dessinée demeure libre, pleine de jolies trouvailles. Si la violence omniprésente est montrée, violence des Blancs mais aussi violence des Indiens, elle n’est pas appuyée. Ce que l’on retient le plus, c’est la douceur apportée par un personnage inventé par Severine Vidal, la petite Annabel, fille du Ranger chargé de ramener Cynthia dans le monde des colons. Cheveux roux, garçon manqué, elle est le personnage qui porte la parole de Naduah, taiseuse et renfermée , comme le fut la véritable Ann Parker qui laissa peu de témoignages et de traces écrites. Et surtout Annabel, par son intelligence, son absence de préjugés, son regard juste sur le monde des adultes, est le lien entre les deux univers, « traductrice » des mots ou des silences et « passeuse ». Elle est le point central autour duquel gravite un scénario qui accorde une place importante à l’enfance, à la transmission, à la relation mère enfants magnifiquement illustrée par des pages de grande poésie et de grande tendresse. Loin de la prétendue naïveté enfantine, Annabel pose le regard juste, simplement de bon sens, ce regard que devrait posséder tous ces hommes qui à aucun moment ne s’interrogent sur ce que veut la jeune femme enlevée très jeune et décident à sa place de son existence.
On retrouve ainsi posée en filigrane la condition des femmes au XIX ème siècle, thème qu’avait déjà traité avec talent Severine Vidal dans son évocation de George Sand, illustrée par Kim Consigny (voir interview St Malo). Mais alors que l’écrivaine du Berry s’affranchit de sa condition, Naduah n’a pas la force de lutter et subit jusque dans la mort es injonctions des hommes.
Avec Vincent Sorel, la scénariste a trouvé un complément parfait à son récit. Le dessin presque totalement en noir et blanc est complété de manière parcimonieuse par des couleurs discrètes faites uniquement pour dater les événements et les caractériser sans lourdeur. Le rouge illustre la violence et le passé, le gris orangé les moments de douceur et d’affection.« J’ai travaillé l’album comme s’il était en noir et blanc. J’avais envie que le trait tienne en lui-même, qu’il soit dense et riche, qu’on puisse revenir sur l’album pour regarder les matières et les détails », déclare t-il dans une postface passionnante. C’est en effet le trait noir qui domine, et les pleines pages sublimes apportent au récit une dimension humaine rare et puissante. Le dessin est avant tout un dessin d’amour, de connivence agité par le galop effrayant des rangers ou des Indiens mais aussi adouci par le sol réconfortant du tipi, ce sol que devrait se partager indifféremment les femmes et les hommes de toutes couleurs. Et qu’ils devraient pouvoir choisir librement.