Comment traiter des liens entre BD et peinture sans évoquer le peintre le plus célèbre du XXe siècle : Pablo Picasso ? Tout simplement en commentant la sortie du quatrième opus de la série consacrée à l’artiste catalan : « Pablo ». Un nouveau volet de notre petit dossier volet. Plus léger et aérien que les précédents. La BD Pablo mène à… Picasso.
La vie du natif de Barcelone est trop riche pour être traitée en une seule BD. Même en quatre ouvrages. Alors, les auteurs ont retenu 10 années de la vie de Pablo. Années qui commencent à l’arrivée de l’artiste surdoué au Bateau Lavoir sur la butte Montmartre en 1907, année des « Demoiselles d’Avignon ». Ou comment passer de « Pablo » à « Picasso », sous-titre du dernier ouvrage.
Autant l’écrire de suite, il serait dommage de se contenter de la quatrième BD sortie dernièrement. Même découpée arbitrairement, cette période de la vie de Pablo forme un tout cohérent : des débuts parisiens jusqu’au cubisme. Et, si elle n’explique pas le génie, elle fournit le socle d’une vie qui s’éteindra 65 ans plus tard.
L’intérêt de ces BD biographiques est immense : souvent très documentées, historiquement solides, elles permettent par l’image et le texte (quand elles sont réalisées avec talent) d’appréhender en peu de pages une vie ou une partie de vie, de s’en imprégner au moins aussi facilement que certaines biographies uniquement écrites. Catel et Bocquet avaient réussi admirablement ce pari avec « Kiki de Montparnasse »(*) où l’on rencontrait déjà Pablo Picasso. Julie Birmant et Clément Oubrerie – dans un tout autre style graphique (les couleurs somptueuses remplaçant un noir et blanc magnifique) – réussissent eux aussi à nous transporter sur la Butte Montmartre en ce début de XXe siècle, i effervescent dans le domaine artistique, creuset de toutes les révolutions picturales à venir. Dans ce type d’ouvrage, avec Kiki ou avec Pablo, au-delà de la vie d’une personnalité, c’est un monde qui revit, des lieux, des personnages. Un univers. Une époque. Et il faut bien être deux pour recréer cet univers : un(e) dessinateur(trice) et un(e) scénariste.
La lecture peut ainsi se faire à deux niveaux. Pour les passionnés d’histoire de l’art, ils visualiseront ce qu’ils savent déjà, se laissant porter par le dessin qui offre de vrais moments de grâce, notamment lorsque la pagination prend de l’ampleur comme dans des vues magnifiques de Montmartre ou des scènes de cirque rappelant des tableaux de Seurat (le tome 2 , « Apollinaire », est sans doute le plus réussi graphiquement). Ces passionnés chercheront alors les détails qui font référence. Connaissant le fameux portrait de Gertrude Stein, ils découvriront, par exemple, avec ébahissement comment le dessinateur est parvenu à faire un tableau du tableau, retranscrivant la puissance massive de la « forte » américaine, sans recopier l’œuvre d’origine. Pareillement, ces amateurs apprécieront encore le détournement des Demoiselles d’Avignon ou le portrait en couverture du tome 4 de Picasso selon le mode cubiste, dessins qui révèlent une vraie capacité de Clément Oubrerie à s’approprier l’œuvre du peintre catalan. (À propos de détournement des Demoiselles, cf. le dessin de Michel Heffe.)
Pour les moins férus, mais peut être les plus curieux, il s’agira de découvrir l’essentiel des débuts d’un peintre et d’un monde, celui de la Butte Montmartre. Le récit fluide, mêlant l’essentiel à l’accessoire, le cadre historique aux détails de la vie quotidienne, les passionnera dans une leçon d’histoire de l’art discrètement érudite.
C’est Fernande Olivier qui servira de guide à tous sur cette butte qu’elle survole dès les premières pages. Fernande le premier amour de Picasso qui va l’accompagner et lui servir de modèle, plus de cent fois, jusqu’à sa période cubiste. Et qu’elle est belle Fernande, belle et légère ! Clément Oubrerie, sait dessiner les femmes, comme il l’avait montré avec sa série culte « Aya de Yopogun ». D’un trait fin de crayon, avec ses petits « accroche-cœurs » sur les tempes et ces yeux gourmands en amande, elle va nous emmener avec Pablo d’atelier en sous-pente, de bars en bordels, de Montmartre à Gosol.
À chaque ouvrage un personnage secondaire central, marche à côté du couple Fernande-Pablo : le poète Max Jacob, amoureux fou transi du peintre pendant sept ans, est présent dès l’arrivée à Paris de Pablo. Et puis, Guillaume Apollinaire et cette ritournelle : « A bas Laforgue ! Vive Rimbaud ! », qui revient comme un leitmotiv tout au long du tome deux. Pablo est reçu alors chez les Stein, sa renommée progresse et la concurrence voit le jour. Matisse d’abord, si différent, celui qui avec « la Femme au chapeau » peint en 1905 fera scandale et dont le peintre barcelonais sent que le talent ouvre de nouvelles portes. Et puis Braque au final qui « invente » le cubisme dans une sorte de compétition au « brevet » de la nouveauté artistique.
Comme Gauguin et Denis à Pont-Aven, Picasso s’est placé en concurrence, cherchant à devenir un chef de file, à être le premier. Petits calculs, petites compromissions, mesquineries, tromperies, la vie de l’artiste catalan est décrite avec une proximité quotidienne qui rend le génie encore plus humain. C’est l’un des mérites de ces BD : placer ces grands noms de l’art du XXe siècle à hauteur d’homme, sans béatification ou idolâtrie.
Dans le premier tome, Fernande s’envole. Elle regarde son passé, les bras écartés, volant au-dessus des années. Elle est vieille mais elle est belle. Dans le dernier ouvrage, elle plane encore, le temps d’une page, pour boucler la boucle. Mais l’objet céleste ce n’est pas elle, elle le sait. Le génie, c’est Picasso. Elle, elle n’a fait que passer. Dans le ciel, mais aussi à jamais sur les toiles des plus grands musées du monde. Et dans ces quatre formidables et exceptionnelles BD légères, légères comme…. les accroche-cœurs de Fernande.
À suivre…
BD PABLO : série en quatre volumes chez Dargaud. Tome 1 : Max Jacob, Tome 2 : Guillaume Apollinaire, Tome 3 : Matisse (Prix RTL 2012), Tome 4 sorti le 21/03/2014 : Picasso. Dessins de Clément Oubrerie, scénariste Julie Birmant. Chaque ouvrage : 17€.
(*) Kiki de Montparnasse par Catel et Bocquet chez Casterman Écritures.