Quelles bêtises peut on faire quand on a 8 ans dans les années soixante-dix dans un petit village du Sud Ouest ? Beaucoup. Y compris les plus graves. Ainsi débute Pas de pitié pour les indiens, la chronique réussie d’une enfance rurale partagée entre les jeux et la découverte de la vie.
Ne vous fiez pas à la couverture de Pas de pitié pour les indiens. Le personnage hilare au premier plan n’est qu’un personnage secondaire de cette BD. Ne vous fiez pas au titre. Si vous pensiez lire une BD du style western, à la Blueberry, vous faites totalement erreur. L’attaque du fort Rancho, page 79, n’est qu’une attaque de Playmobil.
Aussi pour apprécier Pas de pitié pour les indiens, mieux vaut il se plonger directement dans sa lecture pour éviter de fausses pistes de Sioux ou d’Apaches. On découvre de suite que nous ne sommes pas en Arizona ou à Monument Valley, mais dans le Sud Ouest de la France dans un bourg de 400 âmes, Beaumont du Quercy, où un jeune couple d’instituteurs, baba-cool, jupes longues à fleurs pour elle, barbe et pipe pour lui viennent s’installer en 1966. C’est leur garçon, Jean, né en 1968 (cela ne pouvait être autrement), qui va nous raconter ses années d’enfance dans ce bourg, si symbolique de ces petites communes rurales dans les années soixante-dix.
On n’est pas forcément sage à cet âge, pas plus hier qu’aujourd’hui et « c’est vite fait une connerie. On se rend pas compte …. Même une grosse, SURTOUT UNE GROSSE, de connerie ! C’est vite fait ». Et d’entrée de jeu, sans atermoiement, on entre ainsi, même de manière tragique dans cet univers de l’enfance et de trois garnements si proches finalement de tous les garnements du monde. Enfance ne veut pas dire naïveté et derrière le jeune trio, on pénètre avec des yeux attentifs et neufs dans l’univers des adultes de cette époque.
Par chapitre, comme dans les récits biographiques, on fait connaissance avec le curé, symbole d’une religion en perte de vitesse, mais encore présente. L’installation d’une famille algérienne cristallise un racisme ordinaire que manifeste violemment un ancien appelé du contingent. Par petites saynètes et par le prisme des enfants, c’est une époque qui affleure du récit, une société où les « marginaux » habitent à côté du village dans des tipis, et où l’on se rend à une première manifestation compte l’implantation d’une centrale nucléaire à Golfech.
Nicolas Dumontheuil a sans aucun doute puisé dans des souvenirs personnels pour décrire cette chronique douce, souvent, violente parfois, mais toujours honnête et sans parti pris. Il n’oublie pas pour autant le monde de l’enfance, celui du Dieu Manitoba, qui fait la nique au Jésus du curé, celui des premières amours et du premier baiser sur la bouche. De cases en cases se construit ainsi un récit qui éclaire d’une manière nostalgique un univers qui n’est pas sans rappeler celui de « La guerre des boutons » et de son P’tit Gibus, enfant d’une décennie antérieure. Derrière l’auteur, le lecteur, selon son âge, se souvient ou imagine, participe ou découvre.
Chronique sociale et chronique personnelle, le mélange opère parfaitement. Pas de « c’était mieux avant » toutefois, simplement l’évocation d’un monde où les réseaux sociaux ne limitent pas l’imagination, où la venue de gendarmes fait peur, où le film du soir peut être projeté en plein air devant tout les habitants, encore impressionnés par l’instituteur de la République.Les couleurs sont vives et les traits noirs encadrent les personnages, comme le récit, figeant ainsi les souvenirs bruts dans la chaleur de ce Sud Ouest que les ombres noires restituent parfaitement. Le dessin de Dumontheuil est juste et adapté au récit : imagé sans être caricatural, à la hauteur du récit d’un enfant. Sous des apparences anodines, Pas de pitié pour les indiens nous invite à jouer aux cow-boys et aux indiens mais nous confirme que le regard des enfants sur le monde qui les entoure est parfois plus acéré et juste que le regard blasé des adultes. Ce n’est pas la moindre qualité de cette très belle BD.