Pico Bogue est un petit garçon déluré qui adore jouer avec les mots et leur signification. Dans ce seizième album, paru chez Dargaud, il se propose d’explorer les haïkus.
Honte à nous. Est venue l’heure de la confession. L’humble rédacteur de cette modeste chronique passe ici même aux aveux : il ne connaissait pas la Bd Pico Bogue qui en est pourtant à son seizième opus. Au Japon, cela mériterait de se faire Hara-kiri. Il est en effet impardonnable d’avoir ignoré cette série depuis seize ans. Un sous titre, « Haïku », ces courts poèmes japonais généralement de trois lignes et la lecture de ce seizième album éviteront le passage à l’acte fatidique. Un thème principal qui dit beaucoup du ton donné par ces deux auteurs, respectivement mère et fils, à leurs ouvrages où les mots, leurs sens, leur étymologie jouent un rôle prépondérant.
Bien qu’il s’agisse des histoires quotidiennes d’une famille, nous sommes loin de l’univers de Titeuf par exemple. Pico, qui donne le nom à la série, est pourtant comme la créature de Zep, un garçon qui se chamaille pas mal avec sa sœur Ana Ana et qui fait souvent perdre patience à ses parents. Mais contrairement au garçon à la houpette rebelle, Pico n’est pas dans le présent d’une cour de récréation. Son originalité, outre ses mèches rousses rebelles, c’est de jouer avec les mots, de les triturer en les définissant ou en les utilisant pour placer fort à propos des maximes célèbres qu’il adapte parfois à son goût. À tel point qu’il est possible d’évoquer parfois des propos philosophiques.
On doit l’admettre, ses réflexions et sa pensée, semblent largement plus élaborées que celles des enfants de son âge. Il n’est pas surdoué, ou ne se prétend comme tel, mais il est certain qu’éduquer un tel enfant espiègle et si agile d’esprit, ne doit pas être une sinécure. Son père lève souvent les yeux au ciel. Sa mère tente de le raisonner, mais comment faire entendre raison à un enfant qui se défend d’être fainéant et vous prouve, dictionnaire à l’appui, que vous êtes encore plus feignant que lui. Aussi n’hésite t’il pas à reprendre, contre l’avis de sa mère, des biscuits au goûter prétextant qu’ainsi il valorisait la valeur travail en respectant le métier des biscuitiers.
Pico n’est pas simple à éduquer, vous en conviendrez, mais il est terriblement attachant, car il fait preuve d’humour, de gentillesse et son sens de la répartie ne débouche jamais sur du mépris ou la colère. Pico joue, s’amuse et nombre de saynètes se terminent par ses fous rires et ceux de sa copine qui n’hésitent pas à se rouler par terre (ou dans l’herbe !).
Il n’est donc pas une tête à claque mais un petit garçon séduisant et déluré qui possède en plus une dernière corde à son arc: la poésie. C’est ce domaine artistique plus particulièrement qu’il explore dans cet album. La raison ? Une porte du frigo familial sur laquelle la maman de Pico colle des « phrases qu’elle aime » et des haïkus. Ce qui permet à Pico d’affirmer de manière péremptoire que « tout le savoir qu’on donne aux enfants sort d’un frigo ».
Plutôt que dans la cuisine, c’est dans le lit au moment du coucher ou sur une île sauvage que notre jeune garçon cherche, et trouve, son inspiration. Pour lui qui maîtrise les mots, leur signification, la brève rédaction d’une pensée poétique est un défi de taille mais qu’il relève, reprenant cette maxime de Victor Hugo (collée sur le frigidaire !): « Je ne suis rien, je le sais mais je compose mon rien avec un petit morceau de tout ».
Et voilà le tour est joué. Pico vous cloue le bec et vous laisse admiratif au point de vous donner envie de le retrouver lui et les dessins à l’aquarelle de Alexis Dormal, tout en douceur, en finesse. Des peintures elles aussi emplies de poésie et de douceur.
Ne possédant pas le talent de Pico (et encore moins de Victor Hugo), nous utiliserons une banale expression populaire pour rattraper notre médiocrité : « mieux vaut tard que jamais ». Par contre, l’ignorance est parfois une véritable chance car elle permet de s’offrir des perceptives nouvelles : celles de lire les quinze albums précédents, les trois consacré à l’étymologie et les vingt quatre d’Ana Ana. Je vous abandonne donc. Une grosse pile de petits bijoux littéraires dessinés m’attendent. C’est certain, après lecture, je serais moins idiot. Enfin, j’espère.