Il y a plus d’un siècle La Joconde fut séquestrée et cachée sous un lit. Histoire étonnante dont Rizzo et Bonaccorso nous racontent avec talent et tendresse les dessous dans Pour l’amour de Monna Lisa aux éditions Steinkis. Incroyable comme un fait divers.
Vincenzo Peruggia, ce patronyme à consonance italienne ne vous parle probablement pas et pourtant il est un personnage du XXème siècle qui fit, quelques semaines durant, la une des journaux. Quelques décennies avant l’attaque du train Glasgow Londres, il est l’auteur du plus grand casse du siècle, à peine imaginable aujourd’hui. Le 21 Août 1921 il vole le tableau qui est devenu depuis le plus célèbre du monde, La Joconde de Léonard de Vinci, et le garde chez lui, sous son lit pendant deux ans. De cet épisode connu et commenté, notamment dans les ouvrages de l’Histoire de l’Art, on a retenu surtout les soupçons qui pesèrent sur Apollinaire et Picasso, déjà impliqués dans un trafic d’œuvres d’art précédent. Dans cette histoire rocambolesque, Vincenzo Perugia ne fait souvent que l’objet de quelques lignes laconiques. S’attachant à raconter plaisamment ce fait divers réel et documenté, les auteurs italiens, le scénariste Marco Rizzo et le dessinateur Lelio Bonaccorso, remplissent les vides de l’histoire incroyable du voleur, émigré transalpin, en privilégiant la personnalité supposée et la nationalité de Peruggia. Pauvre, occupant divers emplois manuels, ce dernier subit le racisme français de ce début de siècle. Maltraité dans sa fonction d’employé du musée du Louvre, il cherche sa place dans la société et Bonaccorso le dépeint un peu à la manière d’un Charlot, silhouette triste et vagabonde, amoureux d’une Elisa qu’il rencontre dans la rue. Chapeau melon sur la tête, larges pantalons, longues chaussures et jambes écartées, on l’imagine s’animer sur la page tel Charlot s’approchant de Paulette Goddard dans Les Temps Modernes. Peruggia est un migrant dans la rue comme dans son existence et ses yeux presque toujours ébahis trahissent sa naïveté face à la vie.
Cette approche romantique et tendre du personnage montre le parti pris délibéré des auteurs qui, entre l’image d’un voleur cupide, cynique, et celle d’un amoureux de l’art voulant restituer à son pays d’origine une œuvre majeure, choisissent délibérément la seconde option. L’hésitation pendant deux ans, la naïveté de l’employé du musée plaident en effet en faveur de la thèse de la bande dessinée. Le vitrier italien se décidera finalement à proposer la Joconde à un antiquaire florentin et aux conservateurs du musée des Offices pour faire revenir le tableau dans son pays d’origine, un tableau qui fut en fait apporté en France par Léonard lui même dès 1517, un fait historique certain, témoignage d’un « savoir […] qui va à l’encontre de nos désirs ». Bien entendu, le receleur sera dénoncé et le chef d’œuvre, malgré une campagne nationaliste italienne, reviendra au Louvre pour une reconnaissance croissante mais aussi quelques autres agressions décrites utilement en fin d’ouvrage.
Avec ce parti pris délibéré, Rizzo et Bonaccorso, nous offrent un ouvrage délicat qui montre un « homme victime de son époque », vivant dans des taudis. Ils revendiquent la transcription d’un racisme ambiant quotidien, y compris dans les organes de direction du plus grand musée du Louvre. Les dessins, tout en ronds et larges volumes, s’accordent à la passion romantique de Peruggia pour Monna Lisa (Monna et non Mona, Monna étant la contraction de madonna, que l’on peut traduire par « ma dame », soit en italien « dame Lisa ») et de sa voisine Elisa (en réalité Annunciata), dont les sourires s’accordent dans un heureux mimétisme.
Historiquement documentée mais romancée agréablement, cette jolie bande dessinée met en lumière un fait divers qui a contribué certainement à la mythification d’un tableau, devenu de nos jours une icône, séparée de ses congénères par une vitre, un emplacement isolé et 30 000 smartphones journaliers brandis à bout de bras. Tout cela à cause, peut être, d’un petit migrant italien. Amoureux d’une femme et de son sourire.