Transposer l’essai iconique de Harari en BD était un défi exceptionnel. Vandermeulen et Casanave l’ont relevé en collaborant avec l’auteur. Une réussite totale empreinte d’humour, d’originalité et d’intelligence. Incontournable.
Pourquoi, un rhinocéros habillé d’un scaphandre n’a-t-il pas pu se rendre sur la lune en 1969 ? Rien ne prédisposait en effet un descendant d’un modeste chimpanzé, animal parmi tant d’autres espèces parfois plus douées, à devenir ce Sapiens si inventif, capable de demeurer, exemple unique, la seule espèce de Homo, après l’extinction de toutes les autres.
Pour répondre à cette question, il faut faire fonctionner notre petit cerveau, qui se réduit en taille et en volume depuis Néandertal, et revenir aux origines de l’humanité. Yuval Noah Harari dans l’ouvrage Sapiens. Une brève histoire de l’humanité paru en 2015 avait posé en perspective la naissance de l’homme et, d’une certaine manière, l’avait remis à sa juste place, beaucoup plus modeste, que celle communément admise.
D’une densité très forte, on achevait l’ouvrage avec un sentiment d’insatisfaction tant on regrettait de ne pouvoir tout emmagasiner dans notre modeste intelligence. Aussi quand a été annoncée l’adaptation BD, l’espoir est né d’une révision possible du texte de l’historien israélien et, pour ceux qui n’avaient pas eu ce bonheur originel, d’une joie de la découverte d’un texte majeur.
Une image s’impose depuis notre enfance : celle de l’évolution d’un chimpanzé, de profil, qui se redresse progressivement en avançant pour devenir un Homme sur deux jambes. Une progression linéaire, un progrès de l’état « sauvage » à celui de civilisé. Une erreur manifeste, un mensonge. Un autre dessin suffit à montrer la vérité : de face co-existent différentes espèces humaines qui s’ignorent ou se mélangent, jusqu’à ce que Sapiens soit le seul survivant et que cette fameuse « révolution cognitive », ces « mutations génétiques accidentelles qui ont modifié le câblage interne de notre cerveau » permettent à Sapiens de « penser d’une manière inédite ».
Homo va alors se distinguer des autres animaux et, en un temps record, se porter au sommet, seul, de l’écosystème. Capacité à s’organiser et à mutualiser, invention de mythes et d’histoires, création de religions, importance du pouvoir du feu, la BD avec une fluidité exceptionnelle raconte ce processus de domination rapide d’Homo sur son environnement. Expliquer simplement des processus complexes sans tomber dans la vulgarisation excessive ou la bouillie scientifique simplificatrice avait été le challenge réussi de Harari.
Challenge prolongé de manière éclatante avec la BD qui, sans presque rien abandonner du récit initial, le complète, le modifie (le Big Bang date de 14 milliards d’années dans l’essai et de 13,5 milliards d’années dans la BD !), mais surtout en facilite la lecture en apportant un plaisir supplémentaire : l’humour. De nombreuses trouvailles graphiques, comme la référence à des tableaux notables de l’histoire de l’art, ou dans la manière de conduire le récit avec des rencontres gentiment foldingues de spécialistes inventés, dignes parfois du capitaine Haddock ou de la Castafiore, rendent cet apprentissage de la connaissance jouissif et ludique.
Clins d’oeil aux comics, au cinéma, jalonnent la lecture. Le lecteur se retrouve comme dans une fiction avec la création de la petite nièce de Harari, Zoe, ou auprès d’une enquêtrice qui cherche à démontrer que Bill et Cindy Sapiens sont les pires « serial Killers écologiques de cette planète ». Intelligemment, la BD pose les questions existentielles, remettant en cause des théories comme le créationnisme, et nous interroge sur les mondes fictifs que nous nous sommes créés pour justifier nos existences.
Du chimpanzé au fourrageur puis au chasseur cueilleur, l’Homme s’est redressé, mais va perdre peu à peu son savoir-faire en devenant un sédentaire agriculteur. Le deuxième tome se profile. Il a fallu onze mois pour réaliser ce premier épisode. Trois autres sont attendus pour un total de 1000 pages. Autant dire qu’il va falloir patienter une éternité à l’échelle de nos vies. Mais à l’échelle de l’humanité …..