S’appuyant sur un témoignage familial Lapière et Efa racontent l’irruption de la guerre civile espagnole dans la vie naissante d’une petite fille, la BD Seule, sur les routes catalanes. Émouvant et magnifiquement dessiné.
La guerre et l’enfance. Deux mots a priori totalement irréconciliables. Comme la violence et l’innocence. La haine et l’amour. Pourtant lorsque l’instinct de destruction des hommes éclate, les enfants découvrent un nouveau monde. À hauteur de leur regard et de leur incompréhension. « Qu’est ce que c’est la guerre? » demande alors le petit garçon ou la petite fille ? De nombreux auteurs de BD ont illustré cette question. Pour les plus jeunes, l’exceptionnel et éternel « Flon-Flon et Musette » (1) explique comment un fil de fer barbelé sépare une amitié enfantine unique. Plus récemment « Ermo » (2) de Bruno Loth raconte la découverte de la guerre d’Espagne par un orphelin de 12 ans, devenu saltimbanque. L’auteur s’appuie sur des souvenirs familiaux, son père ayant combattu auprès des républicains espagnols. C’est cette même démarche que reprennent Lapière et Efa, en racontant dans Seule la guerre civile hispanique à travers les souvenirs de Lola, aujourd’hui âgée de 83 ans, et très jeune orpheline de 7 ans au coeur de la Catalogne quand la nation espagnole se déchire.
Lola est élevée par ses grands-parents dans le village d’Isona. Chaque soir elle cherche à ne pas oublier le visage de ses parents et celui d’une petite soeur inconnue, ignorant les raisons de son éloignement. Mais un jour, de noirs et gigantesques oiseaux viennent jeter leurs bombes mortelles sur les habitations, semant peur et panique. « La voilà donc, la guerre ». La petite fille, aujourd’hui grand-mère de la femme de Ricard Efa, découvre les angoisses des adultes, les meurtres, les cadavres, les calots des Républicains ou les drapeaux des nationalistes. L’horreur à hauteur d’enfant. La guerre l’a déjà séparé de ses parents. Elle va l’isoler désormais de ses grands-parents et la confronter au canon d’une jeune soldate franquiste dans un face à face entre son innocence et le regard d’un militaire. Il ne lui restera plus, comme unique solution, que de prendre la route pour retrouver sa mère, dans un périple qui la confrontera à une douleur peut être encore plus forte, à une douleur affective. Un cheminement vers le monde réel des adultes que sauvera un caractère bien trempé.
C’est une voix neutre, un peu emphatique, qui raconte ce récit hésitant un peu entre une narration appuyée et les mots d’un enfant. Trop présente, elle prend le dessus sur les paroles et la perception d’une enfant, mais les dessins magnifiques de Efa font rapidement oublier cette hésitation. Le dessinateur par les variations de couleurs, joue entre des pages monochromes pour décrire les angoisses de la nuit ou les lumières éclatantes de l’été. Chaque case est un tableau miniature dans lequel, à la manière des impressionnistes, les ombres violettes dessinent des taches estivales de chaleur. L’orange explose quand les bombes touchent le sol. L’orange flamboie quand le jour s’estompe devant la nuit. La nature magnifiée, seul véritable refuge, est omniprésente, troublée seulement par des gros plans expressifs de Lola, visage d’enfant qui raconte par ses mimiques tous ses sentiments. L’histoire prend alors de l’ampleur privilégiant les états d’âme de la petite fille qui, indifférente à la victoire ou à la défaite, souhaite retrouver avant tout sa vie d’avant. Le village fait place à la route. La solitude remplace la famille. Et Lola doit se « conduire en adulte ».
Évitant la noirceur extrême « Seule » mêle, grâce à de superbes illustrations, la beauté et l’innocence à l’horreur et la violence dans un récit qui en se simplifiant devient émouvant. La guerre a retiré à Lola non seulement les murs de sa maison, mais surtout l’ essentiel: l’amour familial. Avec l’aide de son grand-père, elle devra le reconstruire. Pierre par pierre, comme les murs de sa maison.
SEULE de Denis Lapière (récit) et Ricard Efa (dessin). Éditions Futuropolis. 16 €.
Sort actuellement chez Futuropolis, l’adaptation du roman de Alessandro Baricco « Trois fois dès l’aube » illustré par Aude Samama et mis en scène par Denis Lapière.
(1) Flon-Flon et Musette de Elzbieta. Editions Ecole des Loisirs. Collection Pastel. Première édition 1993. Toujours disponible. Et indispensable.
(2) « Ermo » de Bruno Loth. 6 tomes disponibles chez Libre d’Images.