BD. Avec Simon et Lucie, Kokor adapte l’oeuvre de Diasthème

Simon et Lucie kokor

Dire et dessiner l’amour absolu entre deux adolescents. Kokor, en adaptant des textes de Diastème, réussit ce pari fou. Une véritable claque.

C’est simple, c’est beau. Cela pourrait se résumer ainsi : Simon, 14 ans aime Lucie, 14 ans. Et Lucie aime Simon. Comme Roméo et Juliette, ils se voient, ou plutôt s’imaginent, face à face sur le balcon de leur immeuble. C’est simple, mais l’amour, c’est compliqué en fait. Adolescents, cela l’est encore plus quand les parents sont absents, inconséquents, murés dans leurs propres douleurs. Simon et Lucie se voient, se touchent à peine, conscients de leur fragilité de cristal. C’est doux, c’est tendre. C’est brûlant comme ces soirées de canicule et les ciels de plomb.

Simon et Lucie kokor

Ils sont purs nos deux adolescents, trop purs peut être pour des sentiments si forts, si complets, que l’on se met à penser qu’il est impossible que cela dure une vie. Une incartade, une infidélité et l’amour absolu se fissure, comme ce coeur que Kokor dessine, un coeur amputé d’un côté. Le ciel de canicule se couvre de nuages. Julie qui dessine et fait des collages, va s’éloigner. On la devine là bas en Bretagne, ou même au delà de l’Atlantique. Nous allons rester aux côtés de Simon, de son mal être que disent ses scarifications volontaires. Il est doux Simon, intelligent et sensible. L’écriture va l’aider à se sauver. En plus, il est ouvert aux autres, il les écoute, il partage leur douleur. Dans cet hôpital psychiatrique, il est sur le banc avec La Gosse, encore plus mal en point que lui, et Bartholomé qui a perdu toute sa famille dans un incendie. Il partage tout avec eux, même les doudounes envoyés par les parents. Trois doudounes pour compenser l’absence d’amour. Trois doudounes orange, pratiquement les seules couleurs vives d’un album placé sous la bichromie et les tons bistre.

Kokor adapte ici trois textes de Diastème : La nuit du thermomètre, 107 ans et La paix dans le monde. Avec cette adaptation librement acceptée par l’écrivain, rarement des amours d’adolescents ont été aussi bien dits et montrés. Absolus, ils n’acceptent de la part de Simon, aucun compromis. Le temps qui passe adoucit peu à peu la douleur, les coups de cutter se dissimulent sous les vêtements, mais l’amour reste. Le dessin de Kokor ne paraphrase pas les mots, il apporte une dimension supplémentaire aux textes initiaux. Dans de belles pages silencieuses, par séquences de couleurs bi chromiques, il montre la souffrance, les rêves, les espoirs, le passé mais aussi peu à peu l’apaisement.

Simon et Lucie kokor

Lentement, les émotions submergent le lecteur, sans pathos, ni crises de larmes avec une tension qui, pendant 300 pages, ne se dément jamais. Simon, sans renier son amour, va se reconstruire. Bartholomé, le gentil, à la silhouette de clown blanc avec ses cheveux frisés en corolle, fait office de père. La Bretagne pluvieuse va retrouver un ciel changeant, avec un petit nuage au dessus d‘un banc. Le ciel immaculé est perdu à jamais, mais un petit nuage aide à cacher les ombres trop violentes.

Bien entendu, on pense à soi, à ses premières amours, à ses premières douleurs. A quatorze ans, le sentiment d’amour absolu est trop grand peut être. Lucie le fuit. Simon le conserve en lui sur ces carnets qui figent les souvenirs. Il ne peut concevoir d’aimer autrement.

Santé mentale, vertige du vide affectif, absence familiale, sont illustrés sobrement avec de subtiles métaphores oniriques. Kokor sait dessiner la tendresse des corps et des visages. Elle est touchante La Gosse dans son mal être sous son casque musical. Il est craquant Simon dans sa loyauté, son visage et son regard qui n’expriment que douceur, sincérité et intelligence. Des personnages secondaires les accompagnent, eux aussi touchants et sincères. Adèle l’infirmière bienveillante ou le docteur Walter, si attentionné. « C’est bien Simon. Vous n’oubliez pas votre cœur », déclare Adèle quand son jeune patient la quitte. Un cœur incomplet, mais un cœur quand même dont Kokor nous a transcrit tous les battements. Écoutez le battre. Il fait souffrir. Il fait aussi terriblement du bien. Il est la vie.

Simon et Lucie. Les ciels changeants de Alain Kokor d’après l’oeuvre de Diastème. Éditions Virages graphiques. 302 pages. 29€. Parution : 2 octobre 2024

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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