Dans la bd Syrie, Vincent Gelot et Baudoin donnent un visage et une voix aux Syriens

syrie baudoin vincent gelot

Vincent Gelot, un responsable humanitaire, et Edmond Baudoin, un immense auteur de BD, prennent la route pour donner la parole aux Syriens. Ils réalisent Syrie, un livre poétique et politique d’une beauté rare, loin d’un simple récit de voyage.

Le 9 octobre 2024, Edmond Baudoin met la dernière touche à la mise en page de Syrie. À la demande de Vincent Gelot, engagé depuis plus de dix ans auprès des communautés chrétiennes d’Orient, le dessinateur voyageur ainsi accompagné se rend au printemps 2023 en Syrie pour, avec un pinceau, dire « au monde les hurlements » que l’humanitaire engagé sur place entend et pour ne pas « se résoudre à l’oubli de cette population qui meurt en silence ».

Le 8 décembre 2024 le régime de Bachar El Assad s’effondre vaincue par l’opposition syrienne menée par l’organisation Hayat Tahrir al-Cham. La fin d’une guerre civile syrienne qui a débuté en 2011. L’Europe notamment se réjouit de la chute d’un régime dictatorial.

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Rencontré début février, Baudoin nous précise immédiatement qu’il faut pour apprécier la nouvelle situation et son livre, se départir de notre vision occidentale. « Lorsque je rencontrais une femme, elle n’avait au lever du jour que deux préoccupations: assurer à manger pour la journée et que sa petite fille puisse aller à l’école ». L’installation d’une possible démocratie, la liberté d’expression sont des notions abstraites de second plan pour elle. C’est à côté de cette femme que se placent ici Gelot et Baudoin et pas à hauteur des politiciens évoqués sommairement pour dire une situation politique d’une complexité rare. Bachar au pouvoir ou renversé, peu importe.

Survivre, vivre tout simplement c’est bien cela que dit cette magnifique bd qui nous emmène à la suite des deux auteurs dans des villes, des lieux qui résonnent dans nos têtes comme autant de drames, de séismes, de combats : Homs, Raqqa, Alep, Damas, des noms dramatiques dans nos mémoires collectives.

Fidèle à ses récits de voyages, notamment avec Troubs, Baudoin se propose comme à l’habitude de rencontrer des « gens », de les écouter et en échange de leur donner un portrait d’eux. Vingt minutes intenses d’échange visuel et oral pour tenter de discerner une vérité. Ils sont sombres ces visages à qui le dessinateur demande leur rêve personnel et leur rêve pour la Syrie. Sombres et désespérés. Nombreux sont ceux qui répondent qu’ils n’ont plus de rêve individuel et qu’ils souhaitent que leur pays redevienne comme « avant », un avant fantasmé que la plupart n’ont jamais connu.

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Difficile de rêver en effet quand la voiture nous emmène de ruines en ruines et rares sont les scènes de vie collective heureuses. Les ruines antiques sont celles de Palmyre, encore trop vivantes pour Daech. Les ruines contemporaines sont celles des combats incessants d’une guerre civile souvent incomprise des syriens eux mêmes.

Baudoin, comme dans un souci de réalisme, utilise plus la plume que le pinceau pour traduire avec justesse l’état des bâtiments, résultats de la folie des hommes à laquelle s’ajoute un séisme sismique. L’aquarelle pure, il l’utilise telle une respiration, une manière de montrer que ce pays ravagé par la haine possède aussi ces beautés, ces aubes resplendissantes. La couleur s’invite plus souvent qu’habituellement, pour contrebalancer peut être la noirceur d’une situation désespérante. Et puis il y a ce bleu. Le bleu du ciel, pur et profond, parfois assombri par les fantômes de femmes en fuite, mais aussi le bleu d’une robe d’une petite fille au regard sans espoir que le dessinateur croque comme un photographe ; visage inoubliable.

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Baudoin est aujourd’hui un auteur majeur. Plus que dans ces derniers ouvrages, il atteint ici une forme de perfection graphique et émotionnelle rare. Il écoute les aspirations simples des syriens, comme celles des mexicains, des inuits, des colombiens, des migrants de la Roya. Il dessine leurs désirs de vivre une existence décente, sans haine ni violence, de se nourrir quotidiennement, d’offrir une éducation à leurs enfants et de vieillir dignement. Il tente de comprendre les raisons qui empêchent les Hommes de réaliser ces voeux modestes. Aucune réponse de livre en livre mais une interrogation permanente et toujours l’espoir de comprendre.

Ignorant, lors du bouclage du livre, la chute d’Hassan, Baudoin termine l’ouvrage par quatre pages de fleurs lumineuses, colorées tel un signe d’espoir. Pourtant lucide, il cache une partie de ces fleurs par de gros traits noirs qui empêchent de voir toute l’étendue du champ, toute la lumière. Le défi désormais est de gommer ces traits d’encre. Le peuple syrien verra dans quelques mois si ces taches s’effacent. Eux seuls pourront le dire. Et le faire.

SYRIE. Des pierres et de la vie de Baudoin et Vincent Gelot. Éditions Gallimard BD. 130 pages. 22€. Parution : 8 janvier 2025. Feuilleter