BD. L’Université des chèvres ou le savoir pour toutes et tous

Dans L’Université des chèvres, paru aux éditions Futuropolis, Christian Lax met en parallèle l’histoire de deux hommes séparés par le temps et l’espace. « L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde », disait Nelson Mandela. Christian Lax illustre dans sa BD ce principe en remontant le temps et en changeant de continent. Un plaidoyer fort et nécessaire.

L’Université des chèvres, c’est l’histoire de deux hommes. Le premier s’appelle Fortuné Chabert. Il porte trois plumes sur son chapeau, un détail qui a son importance. Il est colporteur d’écriture et parcourt les Alpes de la vallée de l’Ubaye en Durance. Nous sommes en 1833. Le deuxième se nomme Sanjar. Il porte le Pakol, le béret traditionnel Afghan et marche dans les montagnes de ce beau pays quelque peu terni par un contexte politique tendu. Nous sommes en 2018.

université des chèvres

Tous deux, à plus de cinq mille kilomètres de distance et presque deux siècles d’écart, sont lourdement chargés. Ils portent sur leurs épaules le poids des livres, pour Fortuné et celui d’un tableau pour Sanjar. Ils portent sur leurs épaules, l’éducation et les connaissances. Ils sont les passeurs du savoir et pratiquent « L’université des chèvres », cette formule qu’un écrivain anglais en voyageant dans les alpes avait donné à ce nomadisme d’instituteur. Ils enseignent dans les lieux les plus défavorisés et les plus éloignés.

Christian Lax, l’auteur des chefs d’oeuvre Azrayen’ et l’Aigle sans orteils, relie ces deux personnages par un scénario très élaboré qui transcende les générations et les continents. Il emmène le lecteur, et Fortuné, des environs d’Embrun en Amérique chez les indiens Hopis, puis Sanjar, d’Afghanistan d’avant les Talibans, aux États Unis de Trump. Changement d’époques, changement de continents mais le récit reste d’une grande fluidité à travers l’histoire d’amour de Arizona, journaliste, descendante de la cinquième génération de Fortuné, et Sanjar, son fixeur afghan. Elle trace le fil conducteur d’une histoire placée sous le signe de la nécessité de la culture comme obstacle à l’obscurantisme.

université des chèvres

Le constat de Christian Lax est glaçant. Deux siècles entre la vie de Fortuné et celle de Sanjar et rien n’a changé. Ou si peu. Fortuné se voyait reprocher son enseignement à des filles par le curé ou par les paysans qui demandent à leurs enfants de garder les troupeaux, pas de rêver avec Victor Hugo. La résonance est malheureusement parfaite avec la haine contemporaine des talibans quand Sanjar transporte son tableau dans les coins les plus reculés du pays. Les dessins des visages haineux des adultes n’ont d’égaux que la joie et le bonheur des enfants avides d’apprendre. Deux siècles séparent la case dessinée terrible d’une jeune fille bas alpine partant en pleurs de l’école, parce que le curé lui refuse ce droit, et le dessin de la photo d’un portable montrant la détresse d’une jeune afghane qui ne peut plus suivre l’enseignement de Sanjar. Une fuite en larmes, un jeune visage désespéré, deux siècles pour une même souffrance.

Romancé, le récit est aussi magnifiquement documenté. Comme Arizona, l’auteur a rencontré des réfugiés afghans et transposé leurs témoignages, notamment quant à la description de la condition féminine. Candidate à la députation, femme juge, elles sont les symboles de malheureuses survivances de principes sociétaux qui refusent l’éducation pour des motifs le plus souvent religieux.

université des chèvres

Le dessin de Lax est au diapason du récit. Les images du passé sont riches de couleurs. Les aquarelles de la période Hopis de Fortuné sont légères, claires et embellissent cette période et ces lieux où les indiens sont les seuls à ouvrir une « université des chèvres » pour toutes et tous. Fortuné y « retrouve son centre du monde ». Lax ose alors les pleines pages, les triptyques pour des moments de félicité et de joie pures. Mais les couleurs disparaissent peu à peu. Les tons ternes, terreux, obscurcissent les années contemporaines dans une quasi monochromie où les sombres nuages de montagne des dessins précédents laissent place à des ciels vides, neutres, sans vie. La désespérance n’est pas loin.

Alors on reprend les premières pages pour se rasséréner. Importantes les trois plumes sur le chapeau de Fortuné. Elles représentent la lecture, l’écriture, les chiffres. Elles sont légères, sensibles à tous les vents. Plus que jamais, Fortuné doit les fixer pour éviter leur envol. Sans elles, la tête perd de son équilibre. Sans elles, la vie perd de son sens.

L’Université des Chèvres de Christian Lax. Éditions Futuropolis. 152 pages. 23 €. Parution : janvier 2023

Feuilleter la bande dessinée

Article précédentDanse. Juste Heddy de Mickaël Phelippeau, une boxe poétique
Article suivantEntretien avec Alexis Fichet, Les fables du Belon
Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici