Dans la Bd instructive et plaisante Vénus à son miroir, publié aux éditions Futuropolis, Jean-Luc Cornette et Matteo imaginent les circonstances de la création d’un chef d’oeuvre: la Venus au Miroir de Velasquez.
Il y a quelques années, les Bd traitant des peintres, de la peinture et de son histoire furent nombreuses. De la série magnifique « Pablo » de Birmant et Oubrerie en passant par la collection des « Grands peintres » chez Glénat, la politique éditoriale fut riche en biographies, en histoire de l’art. Depuis la mode s’est tarie et la parution chez Futuropolis de Vénus à son miroir rappelle que les liens entre les deux arts picturaux sont ténus. Et que les modes reviennent.
On se retrouve ici en terrain connu, celui des circonstances de la création d’une oeuvre majeure permettant d’évoquer par transparence un épisode de la vie du peintre concerné. Le tableau, c’est ce célèbrissime nu de dos qui par un subtil jeu de miroir permet également d’apercevoir le visage de la déesse allongée. C’est ce jeu de miroir qui apparaît pour la première fois dans le portrait en pied des Époux Arnolfini de van Eyck que Cornette et Matteo mettent en exergue comme point de départ du futur chef d’oeuvre accroché aujourd’hui à la National Gallery de Londres.
Nous sommes en 1649 et Diego Velasquez au service du roi d’Espagne Philippe IV et peintre au génie mondialement reconnu est chargé de ramener de nouvelles œuvres d’Italie, ce pays où il est possible de peindre la nudité dans le cadre de tableaux mythologiques ou religieux, comme le prouve la Vénus d’Urbain de Titien à la pose énigmatique et possiblement érotique. En Espagne, Vélasquez s’est consacré à l’art du portrait vêtu, la représentation du corps nu étant proscrite sous le poids de l’Inquisition. Se rendant au pays de Michel Ange le valet de la garde robe du roi est tenté d’aborder ce nouveau genre qui lui est inconnu et de défier le Diable. Ou d’approcher une autre forme de beauté.
Une époque, un lieu, un motif d’inspiration et tout est en place pour laisser l’imagination des auteurs raconter le reste. Il suffit de donner un sens aux faits historiques connus, d’y ajouter un peu de romanesque et de disposer du talent graphique pour reconstituer l’époque et relever le défi permanent de ce genre de BD : évoquer les chefs d’oeuvre reconnus sans les recopier stricto sensu ou en dessiner une photographie, comme le réussissent les deux auteurs pour la représentation du portrait du pape Innocent X qui demande à Velasquez un visage sévère et presque antipathique pour symboliser sa fonction.
Riche et splendide dans le détail et les couleurs chaudes des décors naturels qui respirent la beauté de Rome, de ses monuments, de ses rues, le dessin devient léger, allégorique et simple quand il montre le peintre dans son atelier ou veut mettre en valeur des personnages comme son Juan de Pareja, au rôle majeur dans la Bd ou encore le peintre italien ami, Antonio Domenico Triva qui a une soeur apprentie peintre. Et l’Histoire dit que que Velasquez demandait toujours à des proches de poser. L’occasion est trop belle de donner forme et caractère à cette jeune femme pour qu’elle devienne déesse de l‘amour.
Cornette et Matteo ont visiblement pris plaisir à se glisser derrière le miroir et à observer le jeu du peintre et de son modèle, le peintre qui quelques années plus tard explorera encore plus loin la mise en abyme des jeux de miroir avec le gigantesque tableau des Ménines. Une autre oeuvre énigmatique qui pourrait prolonger utilement ce Vénus à son miroir.