C’est difficile d’être amoureuse quand on est adolescente. Surtout quand l’amoureuse est une voleuse. Récit virevoltant de deux jeunes filles qui se construisent.
Et si la BD pouvait faire du bien ? Et si un roman graphique vous emportait dans un joli tourbillon d’émotions ? C’est bien de cela qu’il s’agit avec Voleuse, ce titre cri du coeur auquel il manque un point d’exclamation pour le rendre vindicatif et agressif. De la colère, il n’en est pas question dans ce copieux roman graphique qui ne raconte qu’une chose : l’amour naissant, compliqué, de deux adolescentes qui vont se découvrir à cause de la cleptomanie de l’une d’entre elles.
Ella, petite brunette intenable et peu docile, extravertie, tournée complètement vers les autres va découvrir à l’issue d’une soirée trop arrosée, le trouble psychique de Madeleine, douce, effacée, timorée, dont elle aperçoit en cours, amoureusement, la nuque. Deux jeunes filles qui vont passer le bac en fin d’année et que tout semble opposer.
De mensonges en omissions, de quiproquos en révélations, les deux jeunes filles peu à peu vont se découvrir, offrant à l’autre une image parfois dissimulée, mais aussi admettre peu à peu leurs différences. Pour son premier roman graphique, Lucie Bryon, dont on imagine qu’elle a quitté l’adolescence depuis peu, tant son récit sonne vrai, nous emmène dans un véritable tourbillon de sentiments, d’émotions, dans lesquels les silences et les non-dits de Madeleine trouvent de surprenants échos dans la volubilité de Ella.
On est avec elles en cours, dans la solitude du réveil devant la tasse du petit déjeuner et l’absence de parents totalement transparents au cours des deux cents pages du récit. L’amitié entre copines, l’intercession de la meilleure d’entre elles, lésée de se retrouver écartée, les complexes, les différences, tous ces sentiments nouveaux et explosifs transparaissent dans un récit sans lourdeur et auquel le dessin et la mise en page d’une rare maîtrise confèrent un rythme de lecture intense.
Comme les cases, qui mêlent souvent deux situations distinctes par le jeu de couleurs, on pénètre dans les soirées qui constituent une partie importante de la vie sociale des deux jeunes filles. Il ne manque que la musique poussée à fond pour faire vibrer encore plus les pages qui sentent le vécu. Et quand le sentiment devient plus fort, plus sombre, une pleine page magnifique s’installe comme pour briser le rythme, faire réfléchir, prendre le temps de poser ses sentiments un peu en vrac et de les examiner tranquillement. Les traits font parfois penser aux mangas, tamisés par des trames discrètes.
Faussement simples ils vont à l’essentiel et l’utilisation a minima des tons dominés par une seule couleur qui isole les épisodes, les ressentis, n’altère en rien un rythme effréné qui donne envie de tourner allègrement les pages. Alors assurément cette BD assume un parti pris de sentiments positifs. Pourtant optimisme et bonheur de vivre ne signifient aucunement mièvrerie. Deux adolescentes qui se tiennent par la main en mangeant une glace, c’est aussi une image normale de la vie.