L’association La Colonie de Belle-Île-en-Mer à Le Palais, dans le Morbihan, s’est donnée la mission de réhabiliter une partie du site de Haute-Boulogne. C’est à cet endroit que siégeait la colonie pénitentiaire des mineurs. Fermée depuis 1977, l’association souhaite en faire un lieu de mémoire et de patrimoine ouvert au public.
fondée en 2019 et présidée par Francis Villadier, l’association La Colonie a le projet de redonner vie à la colonie pénitentiaire agricole et maritime des mineurs, laissée à l’abandon depuis sa fermeture en 1977. L’idée est de proposer aux visiteurs une programmation autour de ce patrimoine avec un espace mémoriel et un auditorium. Le projet a pour objectif de faire revivre la mémoire des enfants et des adolescents qui ont passé une partie de leur vie à la colonie pénitentiaire, de collecter des archives, des documents, de retrouver des témoins encore vivants (parmi les gardiens, les colons des années 50 à 70, etc.), d’organiser des événements consacrés à la justice des mineurs. Cela aidera aussi à créer une dizaine d’emplois et à développer l’économie de l’île toute l’année.
Les travaux du site de Haute Boulogne ont commencé. Ceux concernant l’ancienne colonie pénitentiaire seront soutenus par la Région Bretagne et le Ministère de la justice car il s’agit du dernier témoin en France d’une colonie pénitentiaire où il existe encore des vestiges capables d’être rénovés dans le but de préserver la mémoire et la transmettre aux nouvelles et futures générations. « Les travaux de réhabilitation de Haute-Boulogne sont le travail de tout un collectif, car les bâtiments qui abritent l’ancienne Colonie pénitentiaire des mineurs ne sont pas les seuls sur le site », nous explique Francis Villadier. « Le collectif représente l’association Colonie, la Ville de Le Palais, propriétaire du site de Haute-Boulogne qui financera le gros oeuvre pour le mémoriel, et l’association Propice. » Cette dernière prendra en charge la rénovation de la partie culturelle, des ateliers d’artistes et des lieux de rencontres. « Propice a d’ailleurs bénéficié d’un soutien financier de la part de la Mission Patrimoine grâce au loto du patrimoine de Stéphane Bern. Le site de la Haute-Boulogne a été sélectionné pour représenter la Bretagne à l’édition 2022. »
C’est l’entreprise Couverture Belliloise qui réalise les premiers travaux des bâtiments sur le site de Haute-Boulogne, un magnifique chantier de réfection de toiture en ardoise, en si mauvais état qu’elle affaiblissait la charpente. « Pour le moment, seule la toiture qui abritera l’école de musique et l’école de théâtre a été réalisée. La prochaine étape des travaux de couverture sera prochainement réalisée. Elle abritera l’endroit du mémoriel de la Colonie pénitentiaire. » Ensuite, ce sera au tour de l’intérieur d’être rénové, avec le réaménagement des cellules, puis l’électricité, le chauffage et les ouvertures. « Le gros oeuvre devrait se terminer, sauf imprévus, à la fin de l’année 2023. L’année 2024 sera consacrée à l’installation du lieu, puis à la création de la scénographie. L’inauguration est prévue pour la fin de 2024 », se réjouit le président de l’association Colonie.
Pour l’heure, seule une visite extérieure est possible sous réserve de travaux en cours. Pour l’admirer, même de loin, il suffit de se rendre à pied jusqu’à la colonie pénitentiaire de Belle île en mer, de suivre un parcours entre histoire et mémoire dans le port de Le Palais. Après l’écluse, il faut continuer sur le parcours qui contourne la citadelle Vauban et emprunter le large chemin pavé. Au-delà de la citadelle Vauban, la route suit la mer et longe un long mur d’enceinte. Une ouverture, plutôt étroite, permet d’entrer sur le site de l’ancienne colonie pénitentiaire en accès libre. Pour revenir à Le Palais, il suffit de passer devant l’auberge de jeunesse, juste à côté.
Histoire de la colonie
Un premier contingent de bagnards construit l’enceinte urbaine de Palais en 1804. 44 ans plus tard, le Génie militaire construit les bâtiments de Haute-Boulogne : l’Institution du Dépôt de Belle-île. Ils servent à rassembler les insurgés avant leur jugement. En 1850, Haute-Boulogne devient une maison de détention et de déportation pour emprisonner les condamnés politiques des tribunaux militaires. Belle-Île est à cette époque la prison politique la plus importante de France. Les Communards condamnés à la déportation y sont aussi enfermés, dès 1872. Ils attendent leur départ pour la Nouvelle Calédonie.
À partir de 1882, Haute-Boulogne devient une colonie pénitentiaire pour les délinquants mineurs. Les jeunes, enfermés ici pendant quasi un siècle ne sont pas tous des délinquants ou des mauvaises graines, qui ont commis des vols ou des petits délits ayant écopé de peines de six mois à deux ans. Âgés entre 12 et 21 ans (l’âge de la majorité à cette époque), il y a aussi des orphelins, des enfants vagabonds qui fuient des parents violents ou incestueux et qui sont retrouvés par les gendarmes errants dans les rues. Tous sont confiés à l’administration pénitentiaire sans distinction et tous doivent être punis et redressés avec fermeté, grâce à une éducation morale, religieuse et professionnelle appuyée sur une discipline de fer.
Le nom usuel de la Colonie pénitentiaire, employé par la population, devient le Bagne des enfants, tant les mauvais traitements sont de rigueur. Deux bâtiments d’internat, construits en 1910, accueillent 320 jeunes. Le jour, une discipline sans limite, qui repose sur la surveillance et la punition, n’est faite que de brimades et de coups appliquées aux mineurs, une véritable prison, une antichambre des maisons centrales. La nuit, les colons sont enfermés dans des dortoirs grillagés et verrouillés, « les cages à poules », pour éviter les évasions.
Le journaliste Louis Roubaud écrit, en 1924, un article dans le Quotidien de Paris en faveur de la fermeture des bagnes d’enfants. Dix ans plus tard, en août 1934, une révolte éclate et marque les îliens et l’opinion. Au départ, c’est un simple incident qui se produit au dîner. Un colon entame son fromage avant le signal des surveillants qui donne l’autorisation de manger la soupe. Ces derniers sont furieux et bondissent les poings en avant pour frapper le coupable et le tabasser violemment au sol. Les colons explosent, les gamelles, les tables et les chaises volent. Ils prennent ensuite la fuite et s’élancent à l’extérieur grâce à des échelles qui ont été laissées sur place après des travaux. Ils franchissent la clôture et se dispersent. À l’arrivée des gendarmes, il ne reste dans la Colonie pénitentiaire que le directeur et les surveillants ensanglantés et penauds. Une chasse est organisée avec comme prime 20 francs offerts par enfant retrouvé. Les 55 évadés sont tous retrouvés. Corrigés sévèrement, ils sont battus. Les cris, avait raconté la population, s’étaient fait entendre dans toute l’île !
Plus tard, un autre journaliste, Alexis Danan, mène une campagne de presse nationale pour alerter l’opinion, mais des années encore sont nécessaires pour que ces abus et ces drames soient sanctionnés et des réformes envisagées.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’occupant allemand évacue Haute-Boulogne et en 1945 le Général de Gaulle crée une Direction de l’éducation surveillée, séparée de l’administration pénitentiaire. Une magistrature spécialisée avec un juge pour enfants est mise en place et les colonies pénitentiaires prennent une nouvelle appellation « Institutions publiques d’éducation surveillée ». Elles manquent hélas de moyens financiers et humains, soit un éducateur pour 40 jeunes.
À Le Palais, la priorité est donnée au sport et à la formation professionnelle, surtout maritime. Quand elle est agricole, elle a lieu à la ferme du Bruté*. Cependant les sanctions restent les mêmes ! L’isolement (l’enfermement au mitard) et le passage à tabac sont toujours en vigueur. A la fin des années 40 et au début des années 50, les fugues et les incidents sont quotidiens à Belle-Île. En 1953, les pensionnaires menacent d’incendier les locaux : 60 CRS de la police nationale sont déployés sur le site de Haute-Boulogne. Les meneurs sont arrêtés et emmenés à Quiberon. On leur laisse choisir entre le départ en maison d’arrêt ou un engagement dans les parachutistes.
L’établissement ferme définitivement en septembre 1977. La fermeture est décidée d’une part par le trouble causé sur l’île par les nombreuses fugues des colons et d’autre part, car le tourisme s’y développe de plus en plus et que les cambriolages des résidences secondaires ne sont pas très pittoresques aux yeux des visiteurs !
Le domaine agricole du Bruté a toujours été entretenu au fil des décennies : difficile d’imaginer aujourd’hui son passé.
De nombreux livres ont été édités sur le sujet sujet. Parmi eux, à noter celui de Francis Villadier, Belle-Île-en-Mer entre quatre murs : De la prison politique à l’éducation surveillée (1848-1977), à Jadis Editions (2022). Une centaine de pages sont illustrées par de nombreuses images d’archives.