En ce 8 mars 2024, journée internationale des droits des femmes, la rédaction célèbre différentes figures féminines, d’ici et d’ailleurs, qui ont marqué l’histoire, mais dont leur récit reste parfois méconnu. Je suis née au son du violon de la journaliste et essayiste Bénédicte Flye Sainte Marie retrace la vie de la Française Camille Urso, première musicienne féministe. Paru en janvier 2023 aux éditions Infimes, le parcours de cette militante dans l’âme, pionnière en son temps, injustement invisibilisée, est de nouveau mis en lumière grâce à cette jolie biographie très documentée et romancée avec simplicité.
Malgré les évolutions constantes dans le monde de la musique, celui de la musique classique, connu comme l’un des plus raffinés, demeure pour autant, à l’instar d’autres, un univers majoritairement masculin et sexiste. Les instruments attribués selon le genre de la personne n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Dans cette catégorisation, il fut une époque où le violon était un instrument exclusivement réservé à la gente masculine… Camille Urso, tombée amoureuse du petit objet en bois alors qu’elle n’avait que sept ans, n’a pas laissé son destin aux mains des hommes du XIXe siècle et s’en est emparée de ses doigts agiles pour composer son histoire, et devenire « une véritable pop-star avant l’heure ». Bénédicte Flye Sainte Marie nous la raconte dans Je suis née au son du violon.
Ce nouvel ouvrage de Bénédicte Flye Sainte Marie s’ajoute au nombre incalculable de papiers que la presse française, canadienne et surtout américaine, lui dédia de son vivant. Mais longtemps oubliée, il revient avec justesse sur la vie et la carrière de cette musicienne du XIXe siècle, née dans la cité des Ducs de Bretagne en 1840 et décédée il y a 120 ans, en 1922, à New York.
« Il avait suffi que sa première note la traverse pour savoir qu’il serait son Nord et son Ouest, son alpha et son oméga, le compagnon qui l’accompagnerait jusqu’au dernier de ses souffles. »
La rencontre avec l’instrument à cordes, à l’église Saint-Croix de Nantes, changea cette enfant encore à l’aube de sa vie. Mais loin d’être en adéquation avec ce qu’on attendait des femmes à cette époque, il était inconcevable pour une personne du « sexe faible » d’envisager la pratique d’un tel instrument, tout comme la trompette, la clarinette et autres hautbois. Et contrairement au piano qui permettait une posture gracieuse et délicate, une attitude sage… « Telle Sainte Cécile, leur patronne qui eut la tête tranchée sous la hache du bourreau, l’immense majorité des aspirations des musiciennes du XIXe fut décapitée par leur siècle sexiste. » Mais Camille Urso ne laissa pas ce siècle qui a connu la masculinisation de la musique, et la régression de l’esprit humain sur ces sujets, et ne renonça pas à son grand dessein. Et ce malgré la désapprobation de ses parents, dont elle héritait les gènes de la musique : sa mère, Émilie, était une soprano qui chantait notamment dans les chœurs de l’église qui révéla à l’enfant sa destinée et lors de concerts organisés par la Société des Beaux-Arts à la salle de la Mairie à Nantes. Son père, Salvatore, était quant à lui flûtiste au théâtre Graslin et organiste dans cette même église. Ce fut tout de même ce dernier qui lui offrit son premier violon, de seconde main. Félix Simon, premier violon dans l’orchestre du théâtre de Graslin, se chargea de lui enseigner les bases de la discipline dès 1847.
Un enseignement qui lui ouvrira de nombreuses portes : Camille Urso a été une des premières élèves féminines à être admises dans les classes de violon du Conservatoire de Paris et à remporter un prix à la fin de ses études. Elle a également été la première artiste française majeure à se produire aux États-Unis dès 1852 et une pionnière des tournées musicales en Océanie, en jetant l’ancre avec sa compagnie en Australie et en Nouvelle-Zélande (1879). Toute sa carrière durant, Camille Urso dénonça la condition inacceptable des musiciennes professionnelles empêchées autant par la famille et le corps professoral. À l’époque, des voix masculines se sont tout de même élevées comme Maurice Bourges et Georges Dubourg pour souligner les contraintes qui brimaient l’épanouissement des femmes en musique.
S’appuyant sur une documentation précise, Bénédicte Flye Sainte Marie revient sur cette histoire avec une écriture simple et prenante. Derrière l’aspect d’un roman, elle raconte l’histoire d’une violoniste d’exception avant-gardiste qui, par son combat, a ouvert la voie aux suivantes, celles qui souhaitaient faire carrière dans la musique et pas seulement par l’intermédiaire d’instruments « féminins ». Un livre d’actualité vivifiant et inspirant, dans lequel résonne une voix féminine et féministe.
Je suis née au son du violon, La vie de Camille Urso, première musicienne féministe, de Bénédicte Flye Sainte Marie, Éditions Infimes, 185 pages, parution : Janvier 2023. ISBN : 979-10-92109511