UN DERNIER BALLON POUR LA ROUTE. FRANCE PROFONDE ET HUMOUR NOIR

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Étoile montante du polar français, Benjamin Dierstein s’autorise un kif avec Un dernier ballon pour la route, une comédie acide et jubilatoire. Western spaghetti sur fond d’hymne à la misère des campagnes, ce troisième roman, désinvolte, est une pépite qui consacre le Lannionnais dans les jeunes auteurs à suivre attentivement.

Ne vous laissez pas berner par la première de couverture d’Un dernier ballon pour la route qui présente Benjamin Dierstein comme « nouveau prodige du polar français ». Si le jeune auteur originaire de Lannion a bel et bien signé des ouvrages qui cochaient habilement toutes les cases du genre noir, son dernier livre est d’une tout autre espèce. On vous invite également à ne pas trop vous en tenir au synopsis de la quatrième de couverture, certes de très bonne qualité, mais sans doute trop sage et trop lisse. En même temps, difficile de blâmer les Arènes… Le cocktail de violence, d’humour noir, d’alcool et autres substances plus ou moins identifiables composé par Benjamin Dierstein semble tout bonnement impossible à reproduire.

Un dernier ballon pour la route Benjamin Dierstein

Hanté par un passé qu’il tente d’oublier, Freddie Morvan est un éternel loser avec un fâcheux penchant pour les jeux à gratter, l’alcool, et plus généralement pour l’autodestruction. Sollicité par un ami d’enfance, et accompagné par son vieux pote Didier, un docile « golgoth » un peu simplet avec qui il a l’habitude d’écumer les PMU, il se lance à la poursuite d’une petite fille enlevée par une bande de hippies sauvages.

Entre deux fusillades et un arrêt au comptoir d’un bar miteux, les deux bras cassés se retrouvent embarqués dans une épopée sous acide durant laquelle ils rencontrent punks à chien, « cassos », « bouseux » et autres spécimens représentants d’une France que les élites urbaines ont préféré oublier : celle des ronds-points, des zones commerciales à moitié en friche, des bourgs rongés par la misère sociale environnante. Une France à l’image de celle que nous dépeignent Gustave Kervern et Benoît Delépine dans leur film le Grand soir, et dont Benjamin Dierstein nous fait l’éloge à travers cet hommage aux sempiternels Western Spaghettis qui ont bercé son enfance.

Le grand soir Gustave Kervern Benoit Delépine Albert Dupontel Benoit Poelvoorde
Le grand soir, film de Benoit Delépine et Gustave Kervern avec Benoit Poelvoorde et Albert Dupontel (2012).

Vous l’aurez compris, Un dernier ballon pour la route ne compte pas parmi les ouvrages que l’on encense pour leur finesse, mais plutôt de ceux que l’on adore pour leur insolence et leur grossièreté. Livre Punk s’il en est, ce troisième roman de Benjamin Dierstein se laisse ingurgiter comme une bière commandée à la buvette d’une fête de village un soir d’été : au goulot et, si possible, d’un seul trait. Entre proverbes de bistrot et argot pétri d’un accent à couper au couteau, l’auteur manie à la perfection cette langue qui fait le charme des « bleds » de campagne. C’est cru, grossier même, mais aussi redoutablement efficace et savoureux, tout comme l’humour noir qui suinte de Un dernier ballon pour la route et qui n’est pas sans rappeler les saveurs des émissions Groland.

À l’instar de Strip Tease, cette série documentaire culte qui, durant les années 1990, plongeait les spectateurs dans l’intimité d’habitants de la France et de la Belgique profonde, le roman porte un regard plein de tendresse sur des personnages aussi tarés que brisés. Du trappeur zoophile à la septuagénaire anarchiste en passant par le sosie ivrogne de Francis Cabrel ou l’indomptable vétéran en chaise roulante, l’auteur dresse un portrait à la fois désopilant, désespérant et touchant de ces gueules défigurées par le mépris social qui émane des grandes villes.

émissions Groland Jules Edouard Moustic Benoit Delépine
Les deux compères de Groland : Jules-Edouard Moustic et Benoît Delépine.

Alors certes, on pourra reprocher à Un dernier ballon pour la route un relatif manque de finesse dans le traitement de certains personnages ou, encore, un manque de rythme durant quelques rares chapitres qui semblent moins haletants que son début explosif ou, encore, que la jacquerie apocalyptique qui parachève le récit. Ce serait cependant oublier que le livre emprunte sa narration aux codes du Western, un genre éminemment caricatural et rarement subtil ; et que l’intrigue demeure haletante, avec des moments susceptibles de vous fêler une côte tant les situations sont à se tordre de rire. Ce serait enfin oublier qu’Un dernier ballon pour la route n’a pas d’autre prétention que d’être un « kif », un petit plaisir coupable que l’on partage volontiers avec son auteur.

Un dernier ballon pour la route, Benjamin DIERSTEIN, les Arènes, collection EquinoX, 4 avril 2020, 20€.

Né en 1983, Benjamin Dierstein est agent de musiciens. Il est titulaire d’un Master recherche en études cinématographiques. Il a reçu en 2018 le Prix découverte polar Sang-froid pour son premier roman La Sirène qui fume.

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