Dans le cadre des concerts en famille, l’Opéra de Rennes a proposé le 3 avril Un bestiaire enchanté, une petite histoire de l’opéra. Elle est racontée par le pianiste Didier Puntos et deux chanteurs qui l’accompagne, en complicité avec le metteur en scène Alexandre Camerlo. Et le plaisant avantage d’un concert le vendredi soir, c’est qu’il inclut la possibilité d’une grasse matinée le samedi matin. Il autorise donc une sortie plus tardive pour un jeune public…
On pourrait même dire très jeune, puisque c’est une véritable marée de bambins allant de 4 ans à 10 ans, voire un peu plus, qui avait investi les loges de l’opéra de Rennes pour assister à la séance qui leur était spécialement dédiée. Fort étonnés de découvrir les lieux et leur beauté particulière, ils n’allaient se laisser impressionner par les dorures et l’apparat qu’un laps de temps très court et attendaient de pied ferme tous les animaux fantastiques qu’on leur avait promis. La pénombre tombant doucement sur le théâtre sang et or, le silence prenait place et accueillait avec respect l’arrivée de Didier Puntos, à la fois pianiste et monsieur Loyal, qui serait notre guide tout au long de ce périple fantasmagorique.
Marc scoffoni, curieusement attifé d’une toge bouffante, incarnera le premier héros de l’opéra : « Orphée, celui qui par son doux chant, charmait tous les êtres vivants jusqu’aux bêtes féroces. » L’Orphée de Monteverdi, pas celui de Gluck.
C’est avec Georg Friedrich Haendel et un air d’Almira extrait de Rinaldo que nous continuons notre voyage. Mais il faudra attendre Jean Philippe Rameau et ses Indes Galantes pour voir les enfants réagir de façon plus « bruyante ». La cause en est simple, Marc Scoffoni vient d’apparaître sur scène déguisé en papillon faisant bruisser ses ailes tandis que la cantatrice Géraldine Casey interprète « papillons inconstants ».
Manifestement, il leur faut de l’action à ces jeunes gens, sous peine de les voir perdre le fil et commencer à se tortiller sur leurs sièges. Avec le très joyeux air de la flûte enchantée, Papageno l’oiseleur et Papagena sa promise entament un dialogue à base d’onomatopées – l’affaire est gagnée. On entend même fuser ça et là quelques papa pa pa pa pa… qui ne font pas partie de la partition de Mozart mais relèvent du registre de la spontanéité. On adore !
C’est le moment que choisit Didier Puntos pour nous entraîner dans une sombre caverne où dans l’ombre sommeille, mais seulement à demi, le terrible Faffner, dragon et gardien tutélaire du trésor des Nibelung. Les plus jeunes se resserrent contre leur mère quand apparaît sur l’écran un terrifiant œil à l’iris rouge et à la noire pupille, digne de figurer dans le seigneur des anneaux. Heureusement, « l’oiseau de la forêt », extrait de Siegfried vient rassurer nos jeunes auditeurs. Et c’est avec une série consacrée aux volatiles de tous poils, pardon, de toutes plumes, que se poursuit notre expédition. Emmanuel Chabrier et sa « villanelle des petits canards », Maurice Ravel et son orgueilleux « paon », malgré tout leur talent, ont du mal à rivaliser avec le très divertissant duo de Edmond Audran tiré de la « mascotte » où nos deux chanteurs nous avouent leur tendresse pour leurs animaux respectifs. « J’aime mes dindons, j’aime mes moutons »… On vous avait prévenu…
Le jeune public exige du « visuel ». Ils ne seront donc pas déçus avec le célébrissime « duetto buffone di due gatti » de Gioacchino Rossini….. (oui quoi : le duo des chats !). C’est à cet instant précis que l’on peut mesurer à quel point la perception des enfants et celle des adultes divergent. Nous restons stupéfaits de voir arriver Marc Scoffoni habillé dans un costume de chat, comme Géraldine Casey, affublée d’une énorme tête. Ensemble, ils entament un morceau de bravoure célèbre alors qu’il est normalement conçu pour deux voix de femmes. Les enfants ne se posent pas tant de questions et, réjouis, n’en perdent pas une miette. Rien de plus drôle que de voir nos duettistes échanger des menaces par griffes et crachements interposés, ce qui nous donne à nouveau l’occasion d’entendre fuser des balcons des « miaous » qui n’ont pas connu Rossini !
Plus sage sera le second duo des chats que nous propose Maurice Ravel, tiré de « l’enfant et les sortilèges », il nous conduira au dernier morceau extrait à nouveau d’« Orphée aux enfers », mais celui-là, du bouillonnant Jacques Offenbach. Jupiter se déguise en mouche pour séduire la belle Eurydice.
Il est juste d’adresser un satisfecit aux deux chanteurs qui par leurs facéties ont amusé un public si peu habitué à l’opéra. C’est une manière créative est divertissante d’implanter dans ces jeunes esprits l’idée que l’opéra, théâtre musical, est aussi un divertissement pour tous.
Félicitation également au metteur en espace, Alexandre Camerlo, qui avec une certaine économie de moyens a su tirer le meilleur profit de l’outil qui était mis à sa disposition. L’idée est bonne et devrait être creusée afin de créer de véritables spectacles d’initiation, divertissants et faciles à aborder, qui permettraient de semer la bonne graine auprès d’une génération à laquelle on ne propose bien souvent que l’ivraie.
CONCERT EN FAMILLE
OPÉRA, UN BESTIAIRE ENCHANTÉ
Extraits d’opéras de Monteverdi, Haendel, Rameau,
Mozart, Wagner, Audran
Braunfels , Rossini, Offenbach
DIDIER PUNTOS DIRECTION MUSICALE ET PIANO
ALEXANDRE CAMERLO MISE EN ESPACE
GÉRALDINE CASEY SOPRANO
MARC SCOFFONI BARYTON