Dans Bloom, publié le 19 février 2025 aux éditions Payot/Rivages, l’autrice Julia Billet et le dessinateur Jérôme Ruillier proposent de plonger dans une société dystopique au sein de laquelle des événements étranges ravivent un vivant que l’on pensait disparu…
BLOOM. Ces cinq lettres écrites en capitales noires et un personnage féminin en train de jouer du violon forment la couverture du roman graphique de Julia Billet et Jérôme Ruillier. Sur la quatrième de couverture, une seule phrase énigmatique : « Cent personnes seulement seraient ainsi à même de faire changer le monde… » Il est difficile de savoir quel sera le contenu des 160 pages, mais on s’y plonge comme on plonge dans ce bleu clair qui rappelle celui de la mer.
Si les premières pages de Bloom rappellent la série Abysses, thriller écologique dans lequel les animaux marins se rebellent contre les êtres humains, la comparaison s’arrête là. Dans la bande dessinée, des méduses s’agglutinent les unes au autres et envahissent les bassins de refroidissement des centrales nucléaires et bouchent les circuits, obligeant la fermeture de plusieurs sites, avant de se volatiliser. « Elles forment ce que les scientifiques nomment des blooms. » On apprendra plusieurs pages plus tard que cette espèce est censée avopir disparu… Il en ira de même de la centaine de mésanges aperçue dans le ciel et du loup entre les arbres d’une forêt… « Les mésanges ont existé pendant plus de vingt millions d’années, mais ont disparu depuis une vingtaine d’années. »
Julia Billet et Jérôme Ruillier plongent le lecteur dans une société dystopique, une fable de l’extinction et de l’origine du monde. L’histoire se concentre sur quelques personnages : Véra, Alix et leurs parents, Farès et Albert Herrmann, son grand-père. « Pour qu’un changement s’opère, il faut d’abord un petit groupe de pionniers qui montre l’exemple d’une conscience plus élevée, un nouveau comportement […] Une nouvelle conscience peut alors naître ailleurs, se communiquer, se répandre. » Par ses mots, l’ancien anthropologue s’efforce d’éveiller les sens de son petit-fils, ami de Véra.
Bloom n’est pas un roman graphique muet, mais chaque mot de ce scénario écrit à quatre mains semble être pesé. Aucune surcharge textuelle afin de laisser une plus grande place au dessin, ainsi qu’à l’imagination du lecteur. Des dessins en pleines pages laissent parler les images. Le trait de Jérôme Ruillier, marqué pour intensifier l’obscurité et estompé pour adoucir les ombres, donne corps à ce monde morne dans lequel évolue les personnages, composé exclusivement de noir et blanc. Reflet, sûrement, de la société sécuritaire liberticide (drones de surveillance, couvre-feu à 18h, etc.) qui est dépeinte.
Cependant, au milieu de cet univers bicolore évolue Alix qui, elle, voit et rêve la couleur du monde invisible que tous ne peuvent voir. Les couleurs, principalement primaires, envahissent certaines pages et apportent de la lumière dans un monde qui s’est autodétruit. Comme les animaux, elles jaillissent dans un éclair avant de disparaître la page suivante. Comme eux, elles semblent guider les humains qui veulent bien écouter la nature…
Inspiré par l’anthropologue française Natassja Martin (autrice de Croire aux fauves), le duo convoque dans ces pages une vision animiste du monde, qui consiste en la croyance d’une nature animée par des âmes, analogues à celles humaines, ou des esprits. L’animisme est aujourd’hui plus vu comme une vision du monde. Sans faire l’apologie de cette forme de croyance, Julia Billet et Jérôme Ruillier donnent à réfléchir sur la manière qu’a l’Homme de traiter la nature, et plus largement la planète. « Cent personnes seulement seraient ainsi à même de faire changer le monde », retrouve-t-on dans la bouche du grand-père. Cent personnes pour que le monde puisse naître à nouveau et qu’il reparte à zéro, plus coloré que jamais.
Bloom de Julia Billet et Jérôme Ruillier. Éditions Payot/Rivages, collection Virages graphiques. 160 pages. 23 €. Parution : 19 février 2025.