Boire un petit coup, c’est agréa-a-bleu ! Les Bretons le savent… et se demandent bien ce qu’on peut en montrer dans une exposition ! La réponse coule de source dans les Champs… Libres.
À tout seigneur, tout honneur, la ville connue jusqu’aux antipodes pour sa Rue de la Soif se devait de réfléchir au sujet. Tous les étudiants qui boivent jusqu’à… plus soif pressentent surement qu’ils perpétuent une mode lancée par Platon avec son banquet. Et non, ce n’est pas une légitimation de poivrot, on se contente de reprendre (en le poussant juste un peu plus loin !) le propos de Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue et chercheuse à l’EHESS, membre du comité scientifique de cette expo : « Trinquer est un geste altruiste. En proclamant A ta santé ! on observe quelques instants de silence puis on partage la dégustation du breuvage, comme le faisaient les Grecs ». Ces libations également pratiquées par les Romains et nos ancêtres les Gaulois (cf : la dernière image des albums d’Astérix) reviennent donc à accomplir « un acte social dans un contexte social reconnu ». Voilà une bonne excuse (fournie par l’ethnologue britannique Mary Douglas) pour s’adonner à cette nécessaire pratique. Autant physiologique que culturelle, elle résonne de façon particulière en Ille-et-Vilaine, département qui comptait un débit de boissons pour 66 habitants à la fin du XIXe siècle !
La scénographie conçue par Alexis Patras et soutenue par l’identité visuelle de Jochen Gerner est faite pour « amener le visiteur à construire sa réflexion autour de cette question fondamentale : pourquoi est-ce que je bois ? » Réponse : d’abord parce que mon organisme ne peut s’en passer. « Boire est le propre de l’homme » proclamait Rabelais à la Renaissance. Et de préciser : « je dis boire vin bon et frais ». De fait, pour éviter d’horribles maladies, on a préféré boire des boissons fermentées pendant des siècles – y compris au lycée et dans les tranchées lors de la guerre 14-18. L’usage de l’eau, source de vie a commencé à se généraliser quand elle est arrivée au robinet. À Rennes, ce fut à partir de 1883. Maintenant, chaque Français en consomme 150 litres par jour pour son simple usage domestique (!). Son traitement sanitaire fait l’objet d’une vidéo avec un discours technocratique qu’on peut zapper. Attardez-vous plutôt sur des « sons » plus savoureux : entre les témoignages de Joseph Pirault et une chanson des sœurs Goadec, une femme raconte l’époque où il fallait chercher l’eau au puits : « Si on avait besoin de se laver, on se lavait ». Çà « sent » la parcimonie !
Heureusement, il y avait l’eau de Nazareth, nom initial de l’eau de Plancoët (miraculeuse, forcément) quand elle n’était vendue qu’en pharmacie ! Cette précoce idée de marketing du début du XXe siècle s’accompagnait d’une affiche avec un Breton en bragou braz (pantalon traditionnel) aux couleurs du pays bigouden. L’aspect guérisseur est encore évoqué avec humour par le dessinateur Nono et avec la vitrine de Daniel Spoerri : La pharmacie bretonne, chargée de bouteilles contenant de l’eau collectée par l’artiste dans les fontaines de la région.
Maintenant, les Bretons ont Raison… et bien d’autres marques encouragées par le slogan « Buvez du cidre, vous irez mieux ! ». Les mères allaitantes et leur poupon allaient beaucoup mieux aussi si elles buvaient de la bière. Du moins, si l’on en croit cette affiche hallucinante de 1910 qui met en scène deux femmes. La première, radieuse avec un bébé resplendissant a « bu de la bière ». L’autre, mamelon triste et bébé grincheux, « n’en a pas bu ». Les pratiques ont beaucoup évolué dans la société. Les goûts aussi. Ils résultent d’une construction historique collective et d’un apprentissage individuel. Elle est révolue l’époque où l’Académie de médecine recommandait de boire au moins un litre de vin par jour. Tout est question de dosage ! Une affiche titrée « L’alcool, voilà l’ennemi » présente un homme avant et après l’alcoolisme. Propre sur lui et moustache bien nette d’un côté. Mine et mise repoussantes de l’autre – et bien sûr, il a perdu sa cravate !
De multiples objets en faïence, étain, bois ou verre illustrent ces différentes étapes, de même que des tableaux sortis des musées de Morlaix, de Quimper ou de Bourgoin-Jallieu. On s’arrête devant Monsieur Curnonsky chez Mélanie, à Riec-sur-Belon, peint par Maurice Asselin, devant la gouache de Mathurin Méheut Le 14 juillet à Montparnasse, devant le très concerné Carnaval des gras de Douarnenez, face aux belles trognes de Loups de mer ou les tristes expressions des Incompris, croqués à Montmartre par André Devambez. Tout à fait singulière, la robe de scène d’une chanteuse punk rock constituée d’enveloppes de packs de bière vous donnera à vous aussi des idées de récup’ !
La photo tient aussi une place importante dans cet accrochage, avec un inévitable cliché de Raphaël Binet, témoin important d’une Bretagne disparue (en l’occurrence un Homme à la fontaine à Locronan), et ce nostalgique Femme à la Fontaine saisie par l’objectif de Fernand Daucé vers 1930. Convaincus comme Balzac que « le comptoir d’un café est le parlement du peuple », des photographes actuels (notamment Gérard Alle et Gilles Pouliquen) arpentent les routes de Bretagne pour immortaliser ces rares et magnifiques « parlements » : chez Gaud à Loguivy, chez Rollais à Saint-Brieuc, chez Marie à Saint-Gouéno ou chez Minouche à Pont-Scorff. L’auteur de ces lignes les connaît tous et vous les recommande… les yeux fermés, la bouche ouverte. Et rappelez-vous : le biniou n’est pas un éthylotest !
Expo Boire aux Champs-Libres à Rennes jusqu’au 30 avril 2016
Catalogue
De la soif à l’ivresse
Qui a bu boira. La langue française regorge de ces expressions qui qualifient le boire. Surtout dans ses excès. Boire, c’est d’abord un besoin physiologique, c’est aussi une histoire de goût, de capital culturel et d’apprentissage. Et aussi de (bons) souvenirs ! Offrez donc à tonton ou mamie ce catalogue. Il ou elle sourira en le feuilletant à voir :
Le camion Grappe Fleurie des établissements Guével qui livraient leur piquette dans tous les débits et épiceries de la région.
L’affiche de l’Atomic, « grand vin supérieur de l’Oranie » (sic), imprimée à Morlaix dans les années 40.
L’image d’Épinal de la « bonne Bière de Mars » (fin 19ème) qui prouve que cette idée n’a pas germé dans la tête d’un marketeux du 21e siècle.
Une bouteille à bille de l’usine des Mottais, de l’époque où Rennes comptait trois brasseries (Saint-Hélier, rue de Nantes et Mail Donges)
Le projet d’affiche de Pierre Péron (début 20e) assurant que « chaque Breton boit Le Café du Jour ». Très amusant graphisme exploitant la carte de Bretagne.
Nostalgie, tu nous tiens !
Rencontres
Pour étancher votre soif de culture liée à la thématique Boire, vous aimerez les « parlements » qui se tiennent au Baragouin, le joliment nommé espace bistrot de l’expo, ou au Café des Champs-Libres. Notez déjà :
– Le marketing des alcooliers, avec Jean-François Diouf, doctorant à l’école de la santé publique. Jeudi 19 novembre à 18h30.
– Rencontre avec Adrien Poirrier, tisanier, installé près de Redon. Samedi 28 novembre à 15h.
– Les Bretons et l’alcool, avec l’historien Thierry Fillaut. Samedi 12 décembre à 15h30.
– Boire en chansons, avec Jean-Paul Le Maguet (et son orgue de barbarie) et l’historien Jean-Marie Moine. Samedi 19 janvier à 18h30.
– Bière et gastronomie, avec l’épatant biérologue Hervé Marziou. Jeudi 21 janvier à 18h30.