Le 13 février 2013, un homme, Djamel Chaar, s’immole par le feu devant le Pôle Emploi de Nantes. Mehdi Meklat et Badroudine Saïd Abdallah, 23 ans, ont participé au Bondy Blog et pour ont tourné Quand il a fallu partir, un film documentaire pour Arte. Dans le roman documentaire Burn out Mehdi et Badrou retracent cet événement dont on a finalement trop peu parlé.
Mehdi et Badrou aux Champs libres de Rennes le 15 octobre à 18h30
Que l’on aime ou pas ce livre, le lire serait au pire un mal nécessaire. Roman documentaire, sinon documenté, « Burn out » part d’un événement réel et de quelques indices biographiques pour donner corps à ce qui, dans les médias, notamment BFMTV cité dans les pages, a fait l’objet de quelques lignes laconiques. Pour ce faire, Medhi et Badrou ont utilisé l’art du roman pour investir l’histoire et la fin tragique de Djamel Chaar, mais surtout leur cœur. Composé d’une succession de chapitres, Burn out cherche dans la polyphonie une manière de faire entendre tous les témoignages possibles sur le drame. Et tout le monde y passe, jusqu’au protagoniste lui-même. En plus des insertions documentaires, la voix, quoique fictionnelle, est donnée à sa femme Nicole, sa mère, son cousin, sa conseillère Pôle Emploi, sa psychologue, et même Michel Sapin, à l’époque ministre du Travail (et du Chômage, selon les auteurs).
Le roman déroute précisément par sa capacité à camper simplement ces personnages, avec intelligence et justesse. Dans un style souvent oral, les témoins nous émeuvent ou nous énervent, mais surtout nous en apprennent toujours un peu plus sur le geste désespéré de Djamel. L’idée, c’est bien qu’il existe une vie, des aspirations, des rêves, derrière cet individu renvoyé au statut d’objet de discours politico-médiatique.
Les « Kids », comme on appelle les auteurs, semblent revenir sur l’assertion de François Hollande selon laquelle cet événement serait « un drame personnel ». Et pour y revenir, ils retournent au bled, en Algérie, sur le destin de ces gens qui se demandent s’ils doivent oui ou non partir pour la France. Ils font des détours, ils bifurquent, donnent la parole à un douanier français frontiste, pénètrent dans les usines, infiltrent les méandres de l’institution Pôle-Emploi. Car c’est elle qui cristallise l’événement : une institution qui radie Djamel Chaar et lui demande de rembourser un mois de travail non déclaré en décembre 2012. Une institution qui aide moins à chercher du travail qu’à traquer le potentiel fraudeur, quitte à l’inventer. Qui a tué Djamel Chaar ? Au-delà de cette seule institution, il y a la fermeture de l’usine de métallurgie dans laquelle il travaillait, le chômage. Le roman peine à produire une charge critique suffisante. Medhi et Badrou ont choisi pour leur texte l’émotion, plus que l’explication ou la polémique. Si l’on excepte la critique ouvertement formulée à l’encontre du ministre du Travail – et encore, ce portrait de l’homme politique en obsédé sexuel cynique et sans pitié tend hélas trop à la caricature – on ne trouve que rarement l’ébauche d’une véritable réflexion sur les conditions de possibilité d’un tel événement. Quid de la responsabilité de chacun ? La psychologue du travail ? La conseillère Pôle Emploi ? Le patron de l’entreprise ? Quid de la valeur travail ? Il y a eu un empressement unanime à dédouaner chacun des acteurs du drame, sous prétexte de « drame personnel » ou simplement d’accident systémique. Or, chacun a sa part de responsabilité dans sa participation à ce système.
« Burn out » est un roman qui sensibilise. Si l’on peut parfois se lasser des répétitions pathétiques qui jalonnent le texte, cela trouve poétiquement une cohérence interne dans l’idée de tourner autour de l’événement. Conçu en boucle, « Burn out » parvient à construire, par la simplicité de ses phrases notamment, un véritable contre-discours. Livre actuel, écrit pour une consommation rapide et éclairante, « Burn out » est un objet qu’on lit et qu’on s’empresse de prêter.
Et puis, un autre matin, il est arrivé dans mon bureau. Il s’est assis en face de moi.
C’est un bureau de Pôle Emploi qui n’a rien d’exceptionnel. Des murs usés, qui ont épongé des histoires, des parcours chaotiques, des destins cabossés. C’est un bureau, donc. Et moi, sur une chaise à roulettes, qui écoute des histoires déroutantes. J’écoute et je demande, depuis quand êtes-vous au chômage, dans quel domaine travaillez-vous, quelle est votre expérience professionnelle… J’écoute et j’écris. Sur un vieil ordinateur qui en a marre qu’on lui tape dessus. Qui en a marre d’encaisser toute la misère du monde. Il s’allume une fois sur deux. Parfois, quand il ne s’allume pas, qu’il fait la grève, je me regarde dans l’écran noir. C’est comme un miroir. Je repense à l’époque où j’étais à leur place, dépourvu de tout, sans l’espoir de pouvoir revivre. On a tendance à dire que le travail, c’est la santé. Le travail, c’est la vie, c’est se réveiller au moment où la radio s’enclenche, c’est une forme de dépaysement, c’est une autre vie, qui n’est pas celle de la maison ni celle de la famille. Le travail, c’est respirer, pour construire à la chaîne ou créer des possibilités. Mon travail, à Pôle Emploi, c’est apaiser. Apaiser les peaux déchirées, les cœurs, tout ce bordel. (p. 108)