Aimez-vous Brahms ? – demandait, en 1959, dans un roman au titre en forme de question l’écrivaine Françoise Sagan. Assurément, le 22 et le 23 octobre, la réponse du public rennais fut positive à l’écoute de Brahms le Tzigane.
Pourtant rien n’était gagné à l’avance. N’ayant jamais fait un grand secret de notre méfiance devant cette mode un peu forcenée de métissages de musiques diverses, celle-là même qui nous a conduit à des « Mozart l’égyptien » et consorts, c’est avec un peu de circonspection que nous nous sommes rendu à l’opéra de Rennes, pas forcément disposé à avaler toutes les couleuvres musicales.
Oui mais ! Car dès qu’entre en scène un musicien du calibre de Gildas Pungier, il y a obligatoirement un « mais ». Il y avait dans le projet une certaine cohérence. Le but était de créer des ponts entre des chants populaires de l’empire austro-hongrois datant du dix-neuvième siècle et une musique bien vivante de l’Europe du centre. Les protagonistes furent donc, d’un côté, le chœur Mélismes ; de l’autre, un dynamique trio regroupant un accordéoniste, un contrebassiste et enfin un clarinettiste, le « Bankal trio ».
Si la musique de Brahms, malgré ses racines populaires, s’apparente à ce qu’on appelle de la musique savante, les passerelles musicales écrites par Gildas Pungier créent un liant qui donne à ce concert une agréable fluidité. On passe de chants joyeux à d’autres teintés de tristesse et de mélancolie avant de retrouver le rythme plein d’énergie du trio. Soyons francs, c’est assez plaisant et ce métissage n’a rien d’indigeste. D’ailleurs, si le Bankal trio s’autorise de petites incursions dans le domaine du jazz et même dans celui du tango argentin pour quelques mesures, il revient souvent, grâce au rappel autoritaire de la clarinette de Mathieu Langlet, dans le registre de la musique des juifs d’Europe centrale appelée musique Klezmer ; et là, l’énergie n’est jamais absente!
Il n’y a donc pas lieu de s’étonner du succès remporté auprès de ce public averti qui hante corbeilles et baignoires les soirs de première.
Pourtant le lendemain, vendredi à 14h30, la donne avait sérieusement changé. La salle comble, emplie d’enfants de 7 à14 ans venus faire connaissance avec l’opéra, imposait un défi bien plus difficile à Gildas Pungier et à ses choristes. Premier objectif, retenir toute leur attention un temps suffisant… Deuxième objectif, les faire participer. Enfin, créer en eux assez d’émotion ou de plaisir pour leur donner envie de revenir. L’opéra c’est pour tout le monde, même pour eux.
En sus d’être observateurs, ils sont malins les diablotins. D’ailleurs, lors des petits interviews informels, plusieurs avaient bien remarqué que nous étions assis face au public (pour mieux observer) et non face à la scène. On ne les dupe pas si facilement, il a donc fallu fournir quelques explications. Effort louable : beaucoup étaient venus d’assez loin, de Gaël, de Molac, de Guingamp, ce qui représente presque une heure de déplacement. Sans oublier un groupe plein de vie (et de bonne humeur) en provenance de Saint Guillomard qui redoublait les plaisirs en offrant à plusieurs de ses membres leur premier voyage en train. une journée vraiment inoubliable.
Si l’on met de côté quelques ados réfractaires – minorité incontournable par les temps qui courent – les enfants étaient ravis et un peu émerveillés par la beauté des lieux comme de la musique. Ils sont tous repartis dans leurs villes et villages respectifs avec quelques étoiles dans les yeux. Quel privilège de pouvoir saisir ces instants aussi émouvants qu’une naissance ! Et comme il est dit que chaque concert de Gildas Pungier et de son ensemble doit s’accompagner d’un petit miracle, c’est au rang E qu’il a eu lieu : un jeune garçon d’environ 8 à 9 ans, qui connaissait les paroles – personne ne sait comment – a accompagné de son chant le chœur de l’opéra. Nous fûmes plusieurs adultes à en rester abasourdis et passablement émerveillés. Bienvenue à l’opéra !
Ensemble en résidence à l’Opéra de Rennes
Gildas Pungier : Direction et arrangements
Colette Diard : Piano
Matthieu Langlet : Clarinette
Nicolas Even : Accordéon