Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, le Pass Culture pour les jeunes de 18 ans est en phase de test dans différents départements français depuis février 2019. En Bretagne, les départements du Morbihan, Finistère, Côtes-d’Armor et Ille-et-Vilaine ont été choisis pour tester ce Pass Culture qui permet aux jeunes de 18 ans de disposer de 500 euros à dépenser en un an, en biens culturels (physiques, numériques, sorties, etc.). Une idée séduisante au démarrage difficile…
Le Pass Culture, qu’est ce que c’est ?
Le Pass Culture est contenu dans une application (web et mobile) gratuite. Celle-ci montre les possibilités culturelles et artistiques accessibles à proximité (grâce à un dispositif de géolocalisation). Ainsi, les jeunes peuvent, dans la limite d’un crédit de 500€, repérer, choisir et réserver des propositions culturelles (du concert au théâtre en passant par le livre, le spectacle ou les jeux vidéos). Tous les jeunes ne sont pas concernés : il faut avoir 18 ans lors de la création de son compte. Une fois activés, les 500€ sont valables un an (même si les 18 ans sont passés).
Elsa, étudiante rennaise, s’est inscrite il y a plusieurs semaines sur l’application : « Pour l’instant, je n’ai acheté que des livres. Je compte prendre des places pour le festival Panoramas ». Elle est enthousiaste : « C’est une super idée. Je suis étudiante, mais je n’ai pas de job, donc pas de salaire. Le pass peut me servir pour acheter des livres scolaires ou pour le plaisir, sans culpabiliser et sans risquer de « faire un trou » dans mon budget. Je ne suis pourtant pas une grosse lectrice. Là, il me faut juste aller à la librairie. Dès qu’un livre me plaît, je regarde s’il est dans la galerie de cette libraire (sur l’application) puis je montre le code à la caisse et le livre est à moi. C’est simple ! »
Le top 5 des offres les plus réservées en Bretagne ? Deux librairies, le festival Panoramas #23, l’abonnement à Deezer Premium pour 3 mois et l’abonnement à OCS. Pour les étudiants, les réductions ne sont pas cumulables. Le prix affiché sur l’application, pour un spectacle par exemple, est le même pour tous les jeunes de 18 ans et ne prend pas en compte le statut de la personne (étudiant, chômeur, etc.).
L’initiative du Pass Culture
Promesse de campagne, Emmanuel Macron en aurait eu l’idée grâce à son ancienne conseillère à la culture Claudia Ferrazzi (source : Médiapart). Toutefois, le projet, lui, vient de nos voisins italiens. En 2015, Matteo Renzi (alors président du conseil des ministres) annonce le lancement d’un « Bonus Cultura », un pass de 500 € accessible aux jeunes Italiens. L’initiative de ce projet ? « Combattre le terrorisme par la culture » au lendemain des attentats de Charlie Hebdo. Succès partiel, le Bonus Cultura s’est transformé en une opportunité commerciale pour certains jeunes : échanger le pass de 500 € contre 250 € d’argent liquide par exemple. Si l’application Bonus Cultura est renouvelée en 2020, difficile de fermer les yeux sur le marché noir qui s’est développé en parallèle.
Un démarrage difficile
Le Pass Culture pose problème à plusieurs échelles. La première marche de cette échelle est, indéniablement, celle de l’argent. Si l’application n’en est qu’à sa version test, il y a un fossé entre le budget établi et le nombre d’utilisateurs. L’ex-ministre de la Culture, Françoise Nyssen avait annoncé l’intervention d’acteurs financiers à 80% issu du secteur privé pour financer le Pass Culture. Le privé ne s’est pourtant pas bousculé sur cette patate chaude : depuis juillet 2017, le Pass Culture est inscrit en tant que SAS (société par actions simplifiée) financé à 30 % par la Caisse des dépôts et de consignation et à 70 % par l’État.
Début 2019, le Ministère de la Culture annonçait un objectif de 34 millions d’euros de dépenses. En août 2019, seulement 1 million d’euros avaient été dépensés par les jeunes via l’application. Une phase d’expérimentation qui pêche un tantinet.
La somme de 500 € disponible présente quelques contraintes. L’étudiante explique : « Dans les 500 €, on ne peut pas dépenser plus de 200 € en biens culturels ni plus de 200 € en biens numériques. Ça équilibre, mais ça reste dommage de ne pas laisser quelqu’un utiliser ses 500 € en livres s’il le souhaite. Ou l’inverse. » Trop ou pas assez, les 500 € font débat. « La somme peut être vite dépensée, mais c’est relatif ; et ce, selon la façon de consommer, propre à chacun. En réalité, tout le monde ne dépense pas l’ensemble du pass » conclut Elsa. Effectivement, un utilisateur dépense environ 300 euros en un an.
Instaurée en version bêta, le 1er février 2019 dans 5 départements français (dont le Finistère), l’application démarre très difficilement avec seulement 16 000 réservations pour 12 000 jeunes volontaires (soit moins de deux réservations par jeune).
Franck Riester, le Ministre de la Culture, annonce alors un élargissement de la phase-test à 9 nouveaux départements en juin 2019 (dont le Morbihan, les Côtes-d’Armor et l’Ille-et-Vilaine) ; et ce, à l’ensemble des jeunes résidents de ces 13 départements. Jackpot pour la Bretagne, seule région administrative à avoir accès en son ensemble au Pass Culture. Le 28 novembre 2019, le Pass Culture dépassait le seuil des 100 000 réservations depuis son lancement, pour environ 35 000 inscrits. Début 2020, les utilisateurs à l’échelle nationale sont environ 50 000 (sur 150 000 jeunes éligibles au pass), dont plus de 24 400 Bretons (sur 40 612 jeunes Bretons éligibles).
Qu’est-ce qui justifie une telle disparité à l’échelle nationale ? Pourquoi la Région Bretagne a-elle la chance d’être pleinement concernée ? Margot, du support en ligne de pass.culture.fr, nous a répondus : « À ce titre, il évolue en permanence et fonctionne par vague de mise en place d’actions et d’intégration des retours. » Une réponse malheureusement quelque peu vague… Quoiqu’il en soit, en janvier 2020, sur les 185 000 réservations à l’échelle nationale, la Bretagne en compte 52 000, soit 36 %. Étonnamment, une librairie rennaise se trouve à elle seule numéro 2 du top 5 des offres les plus réservées dans toute la France !
Si le nombre d’utilisateurs augmente timidement, l’application est en phase d’évolution permanente. « L’application n’est pas encore très intuitive : il ne faut pas attendre que l’on nous propose des événements culturels. Si tu ne cherches pas de toi-même, tu n’as rien », explique Elsa. Le pass Culture se veut vecteur d’accessibilité à la culture chez les jeunes. Selon une étude réalisée par l’INJEP (l’institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire), les freins à l’accès à la culture ne concernent pas que le coût, mais aussi le manque de temps, contraintes de déplacements ou même manque d’intérêt et offres non adaptées.
L’appétit culturel découle d’une multitude de facteurs : milieu social, éducation, situation géographique etc. Offrir 500 € aux jeunes semble être une solution intéressante pour que tous ces derniers profitent d’un budget culture. Pour autant, si l’argent facilite indéniablement l’accès à la culture, il n’en est pas le principal moteur et encore faut-il être au courant de cette opération… Elsa a entendu parler du pass culture par une amie : « J’ai l’impression que les gens ne sont pas au courant que l’État met cet argent à disposition. » Ce manque de communication criant laisse songeur.
La version bêta du pass se poursuit, de mises à jour en mises à jour, jusqu’au potentiel lancement de sa version définitive prévue en 2021. Pour autant, ces lenteurs techniques, cette carence de diffusion auprès du public ciblé et l’attractivité toute relative de l’offre expliquent peut-être le peu d’empressement des financeurs privés à s’associer à son essor… Chronologie d’un échec culturel ?
Tout comprendre du Pass Culture
Pour s’inscrire c’est ici.
Les personnes qui n’ont pas encore 18 ans ou qui ne résident pas dans l’un des départements actuellement « test » peuvent laisser leurs coordonnées sur ce formulaire pour être recontactés lorsqu’ils seront éligibles.