Les calvaires en France comptent parmi les grands marqueurs du christianisme populaire : ils structurent les paysages, fixent des mémoires locales, et disent autant une foi qu’une manière de représenter la mort, la souffrance et l’espérance.
Beaucoup remontent au Moyen Âge, mais nombre ont été édifiés ou remaniés aux XVIe–XVIIe siècles, et très souvent reconstruits au XIXe siècle. La Bretagne compte plus de 20 000 croix et calvaires qui émaillent son paysage. Datant pour certains de plus de cinq siècles, sept d’entre eux sont de très grande taille : ce sont les calvaires monumentaux, un ensemble exceptionnel à l’échelle de la France. Une association de sauvegarde prend soin d’eux.
Jadis, on se rassemblait autour des calvaires lors de divers événements : fête paroissiale, temps de prière, pardon en Bretagne, mais aussi rendez-vous de communauté à l’occasion des travaux agricoles, des vendanges ou lorsque l’on implorait une bonne récolte. On leur attribuait volontiers une fonction protectrice, face aux intempéries, aux maladies, aux malheurs du temps, et, plus largement, à l’inconnu qui vient de l’extérieur. Beaucoup de calvaires ont été détruits au cours de la Révolution française ; nombre d’entre eux ont ensuite été restaurés ou rebâtis, notamment dans la seconde moitié du XIXe siècle, au moment d’un grand mouvement de renouveau religieux et de missions paroissiales.
Il y a une différence entre un calvaire et une croix : une croix est un symbole, tandis qu’un calvaire comporte une croix portant un crucifix (Jésus-Christ cloué sur la croix), parfois accompagné d’autres scènes ou personnages. Tout au long des chemins, dans les villages et hameaux, les croix se rencontrent par milliers dans chaque département breton : autant de signes, de repères, et souvent de guides pour les pèlerins. Érigées par le clergé ou par les fidèles, les croix de dévotion implantées sur des hauteurs dominant les bourgs et les villages peuvent aussi marquer des itinéraires de pèlerinage. D’une grande diversité, elles témoignent de l’empreinte durable du christianisme au cœur de la région. Les croix jouaient également un rôle de repère à l’approche d’un village ou à un croisement de routes. De nos jours, elles sont très souvent entretenues par les habitants, des associations ou des communes.
Un grand nombre de calvaires bretons ont été érigés pour demander à Dieu sa protection lors de grandes épidémies, notamment au tournant de l’année 1598, ou en action de grâce lorsque le fléau semblait reculer. La peste est d’ailleurs à l’origine de la construction du calvaire monumental de Plougastel-Daoulas. Longtemps, certaines croix et certains calvaires ont porté le nom breton de Kroaz ar vossen, qui signifie « croix de la peste ».
Les grands calvaires appelés calvaires monumentaux sont un patrimoine emblématique de la Bretagne. Ils ont été construits principalement entre le milieu du XVe siècle et le début du XVIIe siècle et témoignent de la prospérité d’une population très pieuse, dans un contexte où les échanges maritimes et l’industrie de la toile enrichissaient une partie du territoire. Au nombre de sept, un seul se trouve dans le département du Morbihan, à Guéhenno, tandis que les six autres se situent dans le département du Finistère, dans les communes de Plougastel-Daoulas, Saint-Jean-Trolimon (Tronoën), Pleyben, Guimiliau, Saint-Thégonnec Loc-Eguiner et Plougonven. Ils racontent un âge d’or, mais portent aussi la mémoire d’épreuves collectives — notamment les épidémies — qui ont profondément marqué les communautés.

Le calvaire monumental de Plougastel-Daoulas
La commune de Plougastel-Daoulas a été durement éprouvée par l’épidémie de peste de 1598. Le calvaire, bâti entre 1602 et 1604, est traditionnellement présenté comme un ex-voto lié à la fin du fléau. La statuaire, autrefois polychrome, compte plus de 180 statues, en grande partie taillées dans la pierre de kersanton (Finistère). Le Christ crucifié est entouré de figures majeures de la Passion, dont Longin et le Centenier, Jean, Marie et Marie-Madeleine. On remarque aussi de petites excroissances sur certains corps : ce sont des bubons figurés, rappel explicite de la maladie. Le plan du monument, octogonal et prolongé par des ailes, est conçu pour être lu comme un récit : un escalier permet d’accéder à la plateforme d’où l’on prêchait. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le calvaire a subi de lourds dommages (août 1944). Un officier américain, John Davis Skilton, conservateur de musée dans le civil, a joué un rôle décisif dans la mise à l’abri des fragments et la mobilisation en faveur de sa restauration.
Le calvaire de Saint-Jean-Trolimon (Tronoën)
À Saint-Jean-Trolimon, près de la chapelle de Tronoën, face à la baie d’Audierne, se dresse le calvaire monumental réputé le plus ancien des sept. Sa construction est généralement située entre 1450 et 1470. Autour de son socle, plusieurs scènes retracent des étapes de la vie du Christ, réparties sur plusieurs registres superposés. Le massif est surmonté des trois croix de la Crucifixion. La statuaire mêle granite et kersanton. Parmi les scènes, on remarque notamment des anges recueillant le sang du Christ, la Nativité, ou encore un Baptême du Christ présenté à deux reprises. Soumis aux embruns et aux vents chargés de sable de la baie d’Audierne, le monument souffre d’une érosion importante.
Le calvaire de Pleyben
Il fait la réputation de l’enclos paroissial, impressionnant par sa grandeur et sa richesse. Construit en l’honneur de Dieu et de Notre-Dame, il a été remanié à plusieurs reprises. En 1650, le sculpteur Julien Ozanne intervient et réalise plusieurs scènes, dont la Cène, l’Entrée à Jérusalem et le Lavement des pieds. La figure de la Vierge de Pitié est particulièrement importante à Pleyben : on en retrouve plusieurs représentations. Le calvaire est déplacé en 1738 vers le sud-ouest, puis sa structure est remaniée jusqu’en 1743, période durant laquelle la porte monumentale adopte la forme d’un arc de triomphe. Le haut massif, avec sa trentaine de tableaux sculptés, joue un rôle majeur. Les statues paraissent clairsemées tant elles sont perchées sur une hauteur inhabituelle. Certaines sont en kersanton, d’autres en grès, un matériau plus fragile au regard de la conservation.
Le calvaire de Guimiliau
Il a été réalisé entre 1581 et 1588. Ses sculptures relèvent de styles différents, ce qui laisse imaginer l’intervention d’au moins deux ateliers. Quatre contreforts, soutenus par quatre arcades imposantes, composent le massif. Un escalier donne accès à la plateforme d’où l’on pouvait prêcher. Une seule croix se dresse au sommet. Symbole de la Résurrection, le Christ se tient debout sur son tombeau. Environ 200 personnages mettent en scène de nombreux épisodes ; l’un d’eux est unique parmi les sept calvaires monumentaux : les Pèlerins d’Emmaüs. La croix du sommet a été restaurée en 1902 par le sculpteur breton Yann Larc’hantec (1829-1913).
Le calvaire de Saint-Thégonnec Loc-Eguiner
Il clôt symboliquement la grande période des calvaires monumentaux bretons. La base est rectangulaire en granite, formant un banc de faible hauteur. Les flancs s’élèvent ensuite avec peu de sculptures, mais, à l’ouest, un autel est surmonté d’une niche abritant la statue de Saint-Thégonnec, saint patron de l’église. Sur la table d’offrande, une quarantaine de personnages sont représentés. D’un style Renaissance, le calvaire ne comporte pas de scènes de l’enfance du Christ, mais de nombreuses scènes illustrent la Passion. Au pied de la colonne, Marie-Madeleine est visible sur le socle : elle lève la tête vers Jésus crucifié. Le sculpteur finistérien Roland Doré (1585-1663) a réalisé le groupe du Christ aux outrages : Jésus est entouré de deux bourreaux, dont l’un présente, selon une tradition souvent commentée, une ressemblance frappante avec Henri IV (1553-1610).
Le calvaire de Plougonven
Le grand calvaire de Plougonven a été réalisé en 1554 par les frères Bastien et Henry Prigent, dans leur atelier de Landerneau (29). Une dédicace gravée sur la croix centrale l’atteste. De plan octogonal, il occupe une place imposante dans l’enclos paroissial. Chaque angle est garni d’une petite colonne ronde. La tradition des volumes est respectée grâce à une élévation d’environ quatre mètres, composée d’un soubassement surmonté de corniches où reposent de petits personnages sculptés avec finesse, dominés par les trois croix de la Crucifixion. Les principales scènes de la mort du Sauveur y sont représentées. Certaines seront détruites pendant la Révolution française, puis reconstruites en 1897 par Yann Larc’hantec (1829-1913), sculpteur originaire de la commune. Parmi les scènes remarquables, on note celle du Diable de la tentation, au rictus grimaçant, qui ne peut échapper au regard.
Le calvaire de Guéhenno
L’unique calvaire monumental du Morbihan est érigé en 1550 par un maître d’œuvre nommé Guillouic, en granite beige local à grain fin. Sa statuaire se déploie au-delà du monument, autour de l’autel, et donne à voir un véritable livre d’images : une catéchèse de pierre, pensée pour un peuple largement illettré. Pendant la Révolution française, à l’époque de la Terreur, l’ensemble est gravement endommagé. À partir de 1853, l’abbé Charles Jacquot entreprend une restauration majeure, aidé de son vicaire et grâce aux éléments conservés ou rassemblés par les paroissiens. Il recolle, redresse, sculpte aussi des compléments, et ajoute bas-reliefs, statues et colonnes, tout en poursuivant une ambition d’ensemble (ossuaire édifié derrière le calvaire en 1863). Le calvaire sera à nouveau rénové au début des années 2000 ; en 1999, un coup de vent endommage le Christ en croix.
Une association de sauvegarde a été créée en 2004 : l’Association des 7 calvaires monumentaux de Bretagne (Plougastel, Pleyben, Saint-Thégonnec-Loc-Eguiner, Plougonven, Guimiliau, Saint-Jean-Trolimon et Guéhenno). Elle est présidée par Louis Fagot, ancien maire de Guimiliau.

Les objectifs de l’association sont l’entretien et la restauration des sept calvaires monumentaux, mais aussi leur mise en valeur : spectacles son et lumière racontant leur histoire et celle des communes ; illuminations estivales (et parfois en décembre, au moment des fêtes de fin d’année) ; actions de médiation ; et travaux autour de la polychromie ancienne, afin de rappeler qu’une partie de ces monuments furent autrefois peints.
L’association a également pour rôle l’apprentissage et la transmission de l’histoire — notamment aux jeunes générations — par le biais de l’art, de la culture et du développement de la fréquentation de ces lieux patrimoniaux.






































































