Avec Ar Bed Kloz, son dernier album, Brieg Guerveno sublime la langue bretonne dans le métal progressif. Une performance unique où se fondent à merveille les résonnances mystiques de l’idiome et les univers éthérés de la musique. En concert le 4 octobre 2015 au Mondo Bizarro, Unidivers est parti à sa rencontre. Dialogue avec un authentique musicien authentique…
Unidivers : Ton dernier album « Ar Bed Kloz » est sorti l’année dernière et comme sur tous tes albums, tu as fait le choix de chanter en breton. Pourquoi ce choix ? Quels liens entretiens-tu avec cette langue ?
Brieg Guerveno : J’ai une famille qui est bretonnante et j’ai été scolarisé dans des écoles bretonnes. Quand j’ai commencé à faire des groupes, assez tôt, j’ai pris la place de chanteur et j’ai commencé à écrire des textes en breton. Dans la musique que je faisais à l’époque, les consonances de la langue bretonne fonctionnaient mieux avec la musique, en l’occurrence du métal extrême. Je trouvais que ça marchait pas mal, mieux que le français. Et puis, je ne maitrise pas énormément l’anglais. Je préfère écrire dans une langue que je maîtrise plutôt que dans un anglais approximatif.
U. : Les compositions de « Ar Bed Kloz » sont toujours très épurées, très mélancoliques. Et le breton leur apporte un côté assez ésotérique, presque mystique. Est-ce que c’est un effet que tu recherchais ? Quelles sont les thématiques que tu abordes à travers le breton ?
Brieg Guerveno : On m’a dit l’autre jour que ça faisait penser à une voie d’elfe ! (rires), mais pas du tout. Les textes ont longtemps été introspectifs, un peu dans l’héritage des groupes qui m’ont influencé. Les groupes de métal ou de rock progressif font rarement des chansons joyeuses. On hérite un peu de ce qu’on écoute et de ce qu’on fait, de ce qu’on ressent aussi.
U. : Tu as autoproduit ton dernier album, pour lequel tu as fait appel au financement participatif, au crowdfunding. Tu as aussi fait appel à des musiciens bretons pour accompagner les compositions. Dans quelles conditions s’est déroulé l’enregistrement ?
Brieg Guerveno : On a enregistré la basse et la batterie dans un studio professionnel, le studio du Faune à côté de Rennes. Et puis pour la guitare et chant, on a fait ça à la maison. Yann et Joachim sont assez équipés pour tout ce qui est enregistrement. Ça nous permettait de baisser le coût aussi. Ça coûte cher une journée de studio et on ne pouvait pas se permettre de rester trois semaines en studio. C’était aussi un album concept. Même s’il n’y a pas de trame conceptuelle dans les textes, j’avais des idées de sonorités, comme l’accordéon sur un titre, etc. Du coup, j’ai fait appel à Yann Le Corre, qui est plutôt issu de la musique traditionnelle et à Yoann An Nedeleg au uilleann pipe (i.e. cornemuse irlandaise) pour une chanson. Étienne Tabourier m’avait aussi proposé de faire des cordes si j’en avais envie. J’ai accepté et il y avait lui et une violoncelliste pour deux ou trois titres.
U. : Que ce soit la presse musicale spécialisée pour la qualité des compositions, ou par les médias bretons pour cette initiative de mélanger langue bretonne et rock progressif, les critiques ont été très bonnes. Tu as été lauréat du prix du disque Produit en Bretagne. Est-ce que tu t’attendais à un tel accueil de ton album ?
Brieg Guerveno : Oui. Mais c’est pas commun. C’est pas tous les quatre matins que des albums comme ça sortent en breton. Ça interpelle un petit peu et ça va peut-être pousser certaines personnes à pencher l’oreille. L’album est ce qu’il est, mais il est bien produit et il y a de bons morceaux. Puis c’est un album un peu particulier parce qu’il y a des sonorités qui sont propres à cette musique-là. Le format n’est pas radiophonique. C’était un peu l’idée de l’album à la base. Le projet était de faire quelque chose dans l’esprit des albums conceptuels des années 70, de tout cet héritage des musiques progressives.
U. : Pour cet album, tu as assumé dès le départ, dès la campagne de crowdfunding, un virage vers le métal progressif. C’est un choix personnel ou tes musiciens y ont participé ?
Brieg Guerveno : Sur le premier album, Joachim et Xavier n’étaient pas avec moi. À l’origine, je voulais faire quelque chose de folk. J’aime beaucoup tout ce qui est folk et je pense que j’y reviendrai un jour. Mais il y avait déjà dans la façon de créer les morceaux une trame progressive. Et à la suite du premier album, j’ai vraiment voulu partir dans ce courant musical, qui me parle plus. Je n’aime pas trop le terme « rock progressif », parce que ça n’en est pas au pied de la lettre et c’est un terme qui est un peu trop usité aujourd’hui. Dès qu’un groupe commence à avoir des morceaux à rallonge avec des structures un peu progressives, on met l’étiquette prog, et ça n’en est pas vraiment. Pour moi, ma musique, c’est plus mélanger différents éléments. C’est déjà ce qu’on fait les Beatles sur Sergent Pepper’s, qui est considéré comme le premier disque de rock progressif : sortir des structures de la pop et mélanger plusieurs styles de musiques. Je vois plutôt ça comme ça. C’est un peu ma personnalité aussi. J’ai du mal à faire des choix tranchés. Je n’ai jamais réussi à dire : on va faire du Death Metal et ça ne sera que ça. Je n’arrive pas à me dire que je puisse faire un album de dix morceaux avec du début à la fin les mêmes choses.
U. : En écoutant l’album, on s’empêche difficilement de penser à des groupes comme Opeth ou Porcupine Tree. Ce sont des groupes qui t’influencent ? Et parmi les musiciens bretons ?
Brieg Guerveno : Oui, complètement ! Opeth, j’écoute leur musique presque depuis leurs débuts, depuis 99 ou 2000. C’était un moment où j’étais plus dans tous les groupes extrêmes et où les groupes qui ont retenu mon attention étaient ces groupes de la scène métal qui tentaient autre chose. Dans ces groupes-là, il y a Opeth, Anathema, etc. J’avais aussi un penchant pour le Doom et que j’ai encore. Et de la musique bretonne, j’en écoute depuis longtemps. J’ai commencé ma formation musicale dans un bagad. J’étais imprégné de musique bretonne. Mais je ne peux pas dire que ce soit quelque chose qui m’inspire particulièrement dans ce que je fais aujourd’hui. Parce qu’il y a déjà beaucoup de ça en fait. Quand j’ai commencé à écrire en breton, mon truc d’ado, c’était déjà de proposer autre chose. La plupart du temps, quand on me renvoyait l’image de la culture bretonne et de la langue bretonne, c’était quelque chose d’arriéré, de ringard. J’écoutais des groupes de Black Métal qui chantaient en Norvégien et je trouvais ça légitime qu’on puisse le faire en breton. Par la suite, je n’ai pas été le seul à le faire. Il y a des groupes comme Belenos qui le font maintenant. Il n’y a qu’ici, en France ou en Bretagne, que l’on regarde ça de façon bizarre. Au contraire, c’est un atout. Pour Ar Bed Kloz, on a eu de très bons retours des pays étrangers. Je me rappelle un mail que m’avait envoyé un mec d’une radio québécoise, qui trouvait ça super que ce soit en breton. Car il recevait des piles de CDs chantés en anglais, et c’était nul… Les groupes ne savent pas chanter en anglais et ça s’entend. La Bretagne est une région qui est connue internationalement et ça interpelle forcément.
U. : dernière question. Pour la pochette de Ar Bed Kloz, tu as fait appel à un designer breton, Owen Poho. Comment est-ce que cette collaboration s’est décidée ?
Brieg Guerveno : Owen Poho est un ami. Pas de longue date, mais c’est quelqu’un qui m’avait contacté il y a trois ou quatre ans, car il aimait bien ce que je faisais. Et puis j’ai découvert ce qu’il faisait aussi. Je lui ai commandé cette pochette alors même qu’il n’était pas forcément habitué à en faire. Mais le résultat est super. Ça n’a pas été facile de la faire. Ça a pris du temps et il a fallu plusieurs compositions. Je lui ai demandé quelque chose qui sorte un peu des pochettes que l’on voit habituellement où, bien souvent, à la pochette, on voit déjà ce qu’il y a dedans. Et puis chaque album est un peu une œuvre d’art. C’est ce qui est aussi lié au rock progressif, où on va toujours au fond des choses, où on recherche toujours la création artistique. D’où mon respect pour des gens comme Steven Wilson (leader de Porcupine Tree, ndlr). C’est nécessaire qu’il y ait encore dans le rock des courants musicaux comme ça. En France, il est raillé depuis le début. On a des groupes comme Ange ou Magma, etc. dont on n’entend jamais parler mais qui ont une importance artistique et encore une énorme influence sur beaucoup de groupes étrangers. Ça me semble important de perpétuer ce courant artistique aujourd’hui.