Key West… petit rocher qui prolonge encore un peu la Floride dans le golfe du Mexique. À 90 miles de là, c’est Cuba. Le premier nom de Key West fut Cayo Hueso, l’île aux Os. Au XVIe siècle, les premiers explorateurs espagnols virent sur cette île des plages jonchées d’ossements, ceux des indigènes tués lors de sanglants conflits territoriaux entre tribus. Le mot taïno cayo, qui signifie « îlot » fut associé à hueso, « os » en espagnol, tous deux anglicisés en Key West.
Ce roman captivant couvre deux époques : les années 1990 qui ouvrent et ferment cette histoire singulière qui s’appuie, en partie, sur un fait réel et les années qui suivent la Première Guerre mondiale, quand les troupes ont retrouvé leur quotidien après plusieurs années passées au front en Europe.
Alicia Cortez arrive à Key West, apparemment arrachée à son île natale de Cuba. Elle débarque, jeune fille apeurée et un peu perdue, elle doit travailler et loger dans le salon de thé « Chez Pearl » de sa cousine. Mais la métisse aux yeux gris vert est de sitôt regardée de haut par une partie des autochtones, surtout les Blancs protestants qui soutiennent le Ku Klux Klan, mouvement fasciste qui rêve d’installer une antenne importante sur l’îlot de Key West et faire la chasse aux Noirs, aux Juifs, aux catholiques.
Au même moment, John, le beau et ténébreux John, débarque d’un bateau militaire après des mois dans les tranchées en France. Au-delà de sa gueule carrée, de ses muscles saillants, de ses plaques qui brillent sur un buste en béton se tient un homme brisé par l’horreur, très sensible, qui n’aspire qu’à une chose, si celle-ci s’avère possible : oublier. Oublier et passer à autre chose. Reprendre la gestion de son bar et lutter contre la Prohibition qui se met en place. Pour cela, il faudra user de ruses et d’échanges commerciaux hors-la-loi avec des trafiquants cubains de rhum.
Au fil des semaines comme des mois, chacun trouve comme il peut ses marques. À l’occasion d’une rechute de la grippe espagnole – qui décima quelque 50 millions de personnes dans le monde -, Alicia et John vont faire connaissance et se rapprocher. Ils partagent des valeurs communes, nourrissent le même sens du commerce, dissimulent un passé douloureux sinon sordide. Tous les ingrédients sont réunis pour en faire un beau roman d’amour.
Mais derrière la romance, le racisme ne cesse de se développer, le Klan prend de l’ampleur, les jalousies des uns des autres, les maladresses et l’ignorance de la jeunesse, l’appât du gain, poussent aux dénonciations quand la haine pousse-au-crime. Le drame gronde et le suspense nous invite à dévorer les pages de plus en plus rapidement : eh oui, le pire fascine !
Les brumes de Key West est un roman fort qui se dévore avec appétit. Une peinture juste et pertinente d’une époque que l’on pourrait facilement oublier, le combat de quelques-uns contre le racisme alors que l’Amérique actuelle, armée jusqu’aux dents, parvient si difficilement à endiguer. Ce livre de Vanessa Lafaye n’est pas sans rappeler La couleur des sentiments, où le quotidien dans les États du Sud était une torture permanente pour les Noirs. Et si les choses n’avaient fondamentalement changé malgré les grands combats de Malcom X, Martin Luther King ?
Les brumes de Key West, un roman de Vanessa Lafaye, Éditions Belfond – 410 pages. Parution : mai 2018. 21,00 €.
Traduit de l’américain par Laurence Videloup
Née en Floride, Vanessa Lafaye a commencé sa carrière dans l’édition d’ouvrages académiques à Oxford, avant de se consacrer à l’écriture et au chant. Après Dans la chaleur de l’été (2016 ; Pocket, 2017), Les Brumes de Key West est son second roman publié chez Belfond. Vanessa Lafaye a disparu en février 2018.