Il y a trois siècles, on trouvait 25 000 tisserands à bras en Bretagne. Il n’en reste aujourd’hui que 200 dans toute la France, seulement un tiers en fait son activité principale. Bruno Lesteven est l’un de ces artisans détenteurs de ce savoir en voie de disparition. La Maison du tissage à bras, son projet d’agrandissement permettant la création de deux emplois et une plus grande transmission de ce savoir, est en lice du concours la Fabrique Aviva.
Le métier de tisserand à bras fait partie de ces métiers rares de France, héritage d’un passé d’artisanat en voie de disparition. Inscrit au Patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, le tissage à bras survit grâce à quelques passionnés qui transmettent leur savoir-faire. Bruno Lesteven a acquis cette technique auprès de ses parents, Bernard et Colette Lesteven, fondateurs de l’atelier Kergouez en 1976.
Bruno Lesteven réalise son premier tissu à 14 ans sur le métier à tisser fabriqué par son père. Il ne se destine alors pas à prendre la tête de l’atelier familial et devient agriculteur pendant 10 ans. Il protège des animaux d’espèces locales en voie de disparition. Cet intérêt pour la préservation du patrimoine génétique se retrouve dans son métier de tisserand à bras, patrimoine immatériel de geste. En 1998, Bruno Lesteven reprend l’atelier de tissage à bras de ses parents.
Pendant deux décennies, Bruno Lesteven est à la tête de l’atelier Aux Fils de l’Arz, situé à Peillac, dans le Morbihan. Aujourd’hui, le grand métier à tisser a trouvé refuge dans le salon de Bruno Lesteven. « J’ai dû quitter les locaux historiques pour laisser place à des ateliers d’artistes contemporains, donc je veux saisir l’opportunité de m’agrandir et de créer la Maison du Tissage à Bras. » Ce projet, la Maison du Tissage à Bras, est justement en lice de la 5e édition de la Fabrique Aviva. La compagnie d’assurance Aviva investi dans des projets d’entreprises responsables et utiles. Dans chaque région, les trois projets avec la meilleure note remporteront 60 000 € chacun. 40 % du résultat provient des votes du public, le reste d’une présentation devant un jury. Les votes sont ouverts jusqu’au 9 février à midi.
Que sera la Maison du tissage à bras ?
Le projet repose sur la rénovation d’une grange à côté du domicile de l’artisan. L’espace est plus grand et permet la création de deux emplois supplémentaires. L’atelier Aux Fils de l’Arz accueille actuellement 25 stagiaires par an, le nouveau lieu en accueillera le double dans un espace de formation permanente. Il pourra également être mis à disposition « de collègues intéressés mais qui n’ont pas la place, dans des formations spécifiques de tissage et autres domaines de textile », explique le tisserand. Dans une optique de transmission des arts textiles, Bruno Lesteven réfléchit à mettre en place des ateliers de nature diverse.
Un atelier de couture permanent permettra à un professionnel de travailler les tissus créés par les tisserands. L’ouverture d’un petit espace de restauration est attendu lorsque la situation sanitaire le permettra. Les produits seront liés au textile, à l’image des pâtisseries à base de farine de chanvre. Un centre de ressources sera aussi mis à disposition des étudiants et chercheurs.
Sauvegarde du patrimoine
L’atelier Aux Fils de l’Arz travaille le lin, le chanvre et la laine avec lesquels sont réalisées des pièces uniques ou en très petites séries, surtout sur commande. Les tissus servent à fabriquer des créations contemporaines ou tissus d’ameublement, mais aussi à des vêtements folkloriques. L’atelier reconstitue aussi des tissus anciens pour les musées. Bruno Lesteven effectue un grand travail de recherche, qui l’amène parfois à réinventer des techniques perdues en s’appuyant sur des archives. Ce travail de sauvegarde de l’histoire passe aussi par la transmission du savoir-faire, grâce à des stages proposés aux initiés et débutants.
C’est cet intérêt pour l’histoire de son savoir-faire qui a orienté le tisserand vers l’utilisation du chanvre. « Mes parents travaillaient sur coton, laine et un peu sur lin », mais lors de son installation Bruno Lesteven s’est intéressé à une autre fibre. « Une association de généalogie historique a trouvé que l’économie rennaise reposait sur la production de noyales, des toiles de chanvre utilisées pour la confection des voiles des navires à l’époque de Louis XIV. En discutant avec des anciens de mon village, certains se souvenaient de cultures de chanvre jusqu’à la fin des années 1940. J’ai eu envie de travailler cette fibre qui a été locale. » Moins d’une vingtaine de tisserands à bras travaillent régulièrement le lin et le chanvre aujourd’hui.
Bruno Lesteven cite une phrase attribuée à Amadou Hampâté Bâ, « un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle », afin d’attirer l’attention sur le danger d’oubli encouru par ce savoir-faire. Il est néanmoins rassuré de voir l’intérêt des jeunes pour le patrimoine et d’artisanat local. « Je pourrai finir mes 10 ans et attendre ma retraite, mais ce ne serait pas rendre service. Il y a un besoin de transmission de ce savoir-faire, et une demande grandissante venant des jeunes. » À terme, l’un des projets de la Maison du Tissage à Bras serait de pouvoir accueillir un apprenti ou, faute de formation spécifique, quelqu’un qui reprendrait l’atelier lors du départ à la retraite de Bruno.
Une démarche éco-responsable
Le concours de la Fabrique Aviva s’intéresse à des projets éco-responsables. Ce n’est pas un problème pour Bruno Lesteven. « On n’utilise que des fibres naturelles, et locales dès que c’est possible – explique l’artisan. On dit qu’un jean parcourt 65 000 km entre le champ et le client. Mes fils, à part la soie, parcourent moins de 2 000 km, ce qui est assez court en textile ». De plus, l’atelier n’utilise pas d’apprêt, un produit très polluant, sur ses tissus.
Bruno Lesteven déplore le retard de cette prise de conscience environnementale dans le milieu textile, dont la place dans les salons bio auxquels il a participé reste minime. « Il faut prendre conscience de l’importance du vêtement et arrêter de s’empoisonner, soi et la planète. »
L’écologie n’est pas le seul facteur pris en compte par le tisserand pour ses matières premières. Il tient aussi à ce qu’elles soient « produites dans des conditions correctes et ne participent pas à l’exploitation de personnes au Bangladesh, en Chine ou encore en Ethiopie », dont une grande partie de l’industrie du textile est malheureusement coupable.
L’artisanat, non soumis aux contraintes de productivité de l’industrie à la chaîne, propose des produits de bien plus grande qualité. « On parle d’obsolescence programmée en électroménager, mais on voit la même chose en textile. Notre technique est plus respectueuse du fil et celui-ci est donc plus résistant que s’il était travaillé industriellement », soutient le Bruno Lesteven. Le travail est plus long et le résultat est plus cher, certes, mais la qualité est au rendez-vous. Et la sauvegarde d’un savoir-faire ancestral est un avantage indéniable.
Atelier de tissage à bras Aux Fils de l’Arz, Peillac
Votez ici pour le projet la Maison du Tissage à Bras – Fabrique Aviva