Cambodge, La révolution silencieuse

Fin juillet, le Cambodge votait pour renouveler ses dirigeants. Sous le regard de la communauté internationale. Le mois d’août fut houleux du côté de Phnom Penh… Entre évolution politique domestique et ralliement à l’Oncle Sam.

Au pouvoir depuis 30 ans, le PCC semblait poursuivre un chemin tracé depuis son accession au pouvoir en 1978. D’abord communiste, il est devenu nationaliste puis s’est ouvert à l’économie de marché, à l’image de ses voisins chinois et vietnamiens. De son côté, le libéral et modéré PSR/CNRP de Sam Rainsy constitue le deuxième parti du pays. Il détenait jusqu’à août près de 20 % des sièges de l’Assemblée nationale contre 58 % pour le PCC. Mais voilà, les élections de 2013 ont enregistré une nette progression du PSR…

Enquête sur les élections

La commission électorale cambodgienne a d’abord annoncé 68 sièges pour le PPC contre 55 pour le PSR (chiffres finalement officialisés), lequel proclamait qu’on lui avait volé la victoire en estimant ses sièges à 63 sièges et 60 pour le PC. Les États-Unis et le Japon ont aussitôt émis de vives critiques sur ces élections alors que les observateurs indépendants n’ont rien d’anormal. La Chine a soutenu avec modération le PPC tout comme l’Allemagne.

Bien sûr, le doute est entretenu par l’interdiction faite au leader de l’opposition de voter (en exil depuis 4 ans), le refus fait à un grand nombre de votants potentiels de s’inscrire sur les listes officielles dans les bureaux de vote et d’une histoire peuplée de pressions du pouvoir et de disparitions mystérieuses d’opposants… Quant à la COMFREL, organisation pour la tenue d’élections libres au Cambodge, elle a donné la liste des irrégularités notifiées dans 40 % des bureaux de vote du pays. La récente ouverture de la commission électorale (pro PPC) vers des organisations non gouvernementales a permis de calmer la situation avant la formation d’un gouvernement qui devra tenir compte de la montée de l’opposition.

Une situation économique difficile

Photo Jorge Cancela
Photo Jorge Cancela

La situation économique du pays est plus que difficile. Coincé entre Thaïlande et Vietnam dont les économies se développent rapidement, le Cambodge ne parvient pas à lutter contre un chômage endémique (masqué par le travail précaire) et une corruption à tous les étages. La croissance est là, mais reste fragile avec un système éducatif encore faible et une économie centrée sur le textile et le tourisme.

Seule la stabilité politique assurée par Hun Sen, au pouvoir depuis 1984, constitue une donnée rassurante pour les investisseurs étrangers. Mais la position géographique du Cambodge explique les préoccupations grandissantes des États -Unis et Japon.

L’influence du pétrole

Cambodia-GDP-2012
Progression du PIB (source Banque Mondiale)

En effet, la région est sujette à une influence grandissante de la Chine dont on peut lire les conséquences dans le conflit des iles Paracels et même dans l’ouverture soudaine du régime birman à la communauté internationale. Unidivers a déjà parlé  du projet d’oléoduc susceptible de passer par la Birmanie. Le pétrole et son transit sont une donnée cruciale dans la lecture de la situation cambodgienne.

La société américaine Chevron est présente comme prospecteur au large du Cambodge depuis 2002 mais attend une licence d’exploitation depuis 2012. L’influence de Chevron dans la politique internationale étasunienne est notoire. Étant donné une balance commerciale pétrolière déficitaire, l’avenir de ce pays historiquement proche de la Chine pourrait donc basculer dans le giron des USA de plus en plus investis dans l’Asie du Sud-Est. Aussi, comme au Venezuela lors des élections de 2013, ne s’étonne-t-on pas que la diplomatie US se permette une ingérence peu discrète dans les affaires du pays. Tellement peu discrète que Sam Rainsy ne cache plus ses liens avec les États-Unis. L’Oncle Sam ne fait plus du tout « peu », au contraire…

Sortie de crise pacifique ?

Afin de prévenir les émeutes, le gouvernement actuel fait étalage de sa force avec un déploiement « préventif » de la police anti émeute et de forces de sécurité armées. Un arrivage de matériel en provenance de Chine a été annoncé dans la presse afin de mettre en garde les opposants. Rainsy a appelé également à ce que ces forces soient déployées aux frontières thaïlandaises et vietnamiennes, pays en conflit avec le Cambodge. Ce relent nationaliste intervient en pleine période de procès d’anciens tortionnaires khmers…

Peut-on espérer une sortie de crise pacifique dans ce rapport de force qui rappelle celui en cours en Thaïlande ? Sans doute, car le parti de Sam Rainsy a plus à gagner dans la victimisation que dans l’affrontement, son credo étant le respect des droits de l’homme. Il avait d’ailleurs enjoint ses partisans à ne pas venir avec la moindre arme, même un couteau, lors de la dernière manifestation du 7 septembre. Mot d’ordre respecté.

 

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Didier Acker
didier.ackermann {@] unidivers .fr

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