CARL HONORÉ, entretien avec le pionnier du MOUVEMENT SLOW

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Carl Honoré était à Rennes l’invité des Champs Libres le mercredi 25 janvier 2017 dans le cadre du cycle « Envie de ralentir ». Carl Honoré, journaliste canadien, pionnier du mouvement slow, est l’auteur d’un best-seller mondial : L’éloge de la lenteur. Mouvement slow : réaction à l’accélération, contre-culture, philosophie ? Questions-réponses (lentes) avec l’intéressé.

 

rennes champs libres envie de ralentirEnvie de ralentir, le cycle des Champs Libres, a commencé depuis le 18 janvier (voir notre article et le programme). Envie d’y réfléchir ? Carl Honoré, pionnier du mouvement slow, était présent mercredi 25 janvier pour une conférence, non pas gesticulée, mais décélérée.

Ce journaliste canadien, reconnu pour son Éloge de la lenteur, parcourt le monde pour donner conseils et conférences. Paradoxe pour un partisan de la lenteur ? « Je voyage lentement », assure-t-il. Le mouvement slow, du reste, joue sur plusieurs contradictions : réactionnaire à la « tyrannie de la vitesse », il lui donne pourtant un équilibre ; libérateur, il impose néanmoins un ensemble de normes telles qu’on en trouve souvent dans lesdites philosophies de vie.

Carl Honoré est d’ailleurs l’auteur de Lenteur, mode d’emploi. Le slow : décroissant, écologique, anticapitaliste ? Oui, et non. Carl Honoré semble proposer un entre-deux, ou un monde à deux vitesses. Une croyance qui remonte finalement à la Rome Antique, si l’on en croit l’adage Festina lente : hâte-toi lentement !

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Unidivers : Le mouvement slow intervient-il à tous les niveaux de la vie sociale, voire de la vie privée ?

Carl Honoré slowCarl Honoré : Oui, tout à fait : le mouvement slow touche presque tous les domaines de la vie humaine. On entend beaucoup parler du mouvement slow dans le domaine du travail, mais il existe aussi dans la vie privée. Dans la famille, par exemple : il y a un mouvement pour récupérer la lenteur avec les enfants. Dans le monde de la puériculture aussi. Des écoles ou des systèmes scolaires, partout dans le monde, embrassent l’idée que les enfants ont besoin de ralentir pour développer les capacités créatives, se connaître à eux-mêmes et pour être sain, pour être en forme. Les enfants ont besoin de silence, et même de l’ennui. On a peur de l’ennui, mais cela peut faire du bien. Cela leur donne la possibilité d’utiliser leur imagination et de développer leur cerveau. Je reviens d’un voyage à New York où je travaille pour une école privée dans le quartier Upper East Side : c’est un quartier où les parents sont vraiment ambitieux. Ces écoles commencent à se rendre compte que la vie est trop rapide, même pour les enfants. Ils ont besoin de trouver le rythme, le tempo giusto (ndlr : le juste temps).

U : Le mouvement slow se développe-t-il en réaction par rapport à l’accélération ?

Carl Honoré : Oui, le mouvement slow a des racines très profondes. On peut retourner jusqu’au XIXe siècle avec le mouvement romantique en Europe, les transcendantalistes aux États-Unis, et même les hippies dans les années 60, en réaction au turbocapitalisme. Mais le mouvement slow, selon moi, est une manifestation plus moderne contre la tyrannie de la vitesse. Je crois que le succès obtenu par le mouvement, depuis Carl Honoré slowsa naissance il y a 20 ans, me donne beaucoup d’optimisme. Je suis cette voie depuis une douzaine d’années et j’ai vu des changements et des avancées brutales. C’est un tremblement de terre culturel. Au fond, les plaques tectoniques commencent à bouger. Mais cela prendra du temps.

U : Comment envisagez-vous l’avenir de ce conflit ? Allons-nous vers un monde, pour ainsi dire, à deux vitesses ?

Carl Honoré : Je ne suis pas un oracle (rires). On est en train d’imaginer un monde slow. Pour moi, ce serait un monde où, au moins, les gens se posent la question : quelle est la bonne vitesse ? Ce serait un bon point de départ, pour révolutionner la culture, la société, l’avenir de l’être humain. Et nous sauver, aussi. Si on continue sur le chemin de cette accélération sans frein et frénétique, cela va nous mener à la catastrophe. On a déjà vécu la crise financière en 2007 : on aurait dû en profiter pour changer les règles. Maintenant, la deuxième crise se manifeste d’autres manières : voyons l’élection de Donald Trump, ou la nouvelle force de la droite en Europe. Le système économique est basé sur une fausse idée, une idée toxique : l’objectif du système serait d’augmenter la richesse matérielle et la consommation. Pour moi, ce n’est pas le but d’un système sain. Les gens en ont marre de ce système qui ne fonctionne plus. Il ne faut pas perdre l’espoir et continuer à lutter. On peut changer le monde.

Carl Honoré slowU : Quel est le rapport du mouvement slow avec la philosophie et certains philosophes ? Je pense à Paul Virilio ou Hartmut Rosa. Le mouvement slow est-il une philosophie de vie ?

Carl Honoré : On trouve certains philosophes qui ont parlé de l’excès de la vitesse dans l’histoire. Nietzsche a dit que cette culture de la vitesse nuisait à l’expérience humaine. La philosophie est une bonne expression de la lenteur, car les philosophes prennent leur temps. C’est un bon exemple de la réflexion. Les philosophes et les porte-paroles du mouvement slow en arrivent souvent à la même conclusion : il faut trouver un équilibre, la lenteur est importante en tant que valeur. Ce n’est pas un échec.

U : Vous donnez des conseils et des conférences auprès des entreprises. À votre avis, on travaille mieux, quand on travaille slow ?

Carl Honoré : Quand on travaille à la bonne vitesse, vite ou lentement ! La vitesse qui produit les meilleurs résultats.

U : Vous n’avez pas peur, dans le cadre du slow management, par exemple, d’une certaine récupération du mouvement slow à des fins de productivisme ?

Carl Honoré : C’est un risque que les entreprises utilisent la lenteur pour des démarches slow, pour réduire en esclavage les employés. Mais certaines entreprises comprennent que les employés ont besoin d’un autre rythme. Il faut être vigilant : éviter que la lenteur soit employée de la mauvaise manière. Il faut bien ralentir. Il y a un danger que le mouvement slow se transforme, comme le mouvement vert ou le mouvement féministe, qu’il soit adopté ou exploité pour des objectifs qui n’ont rien à voir. Je l’ai déjà vu : des entreprises qui se disent slow. C’est un mensonge, une propagande. Pour moi, le fait que les entreprises utilisent le langage de la lenteur est déjà un bon signe.

Carl Honoré, pionner du mouvement slow, auteur de L’éloge de la lenteur, était l’invité des Champs Libres le mercredi 25 janvier dans le cadre du cycle Envie de ralentir qui se poursuit jusqu’au mois d’avril.

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