C’est une formule intéressante qui nous a été proposée le 21 février à l’opéra de Rennes. Elle avait déjà été expérimentée au TNB avec le Carmen de Jacques Feyder. À l’époque, la longueur du film (3h30) avait rendu les choses un peu difficiles et passablement indigestes… La leçon a sans doute porté ses fruits, car Cartoon Concert en est l’absolue antithèse.
Notre guide du jour est un grand spécialiste du film d’animation et du dessin animé. Allons plus loin, Serge Bromberg est une « pointure ». Beaucoup se souviendront de ses émissions de télévision comme « Cellulo » de 1995 à 2001, « Ca tourne Bromby » de 1997 à 1999 sur la Cinq. Rien de plus plaisant que d’avoir sur scène le meilleur ami de Mickey Mouse et de Bug’s Bunny ; les nombreux enfants de 7 à 12 ans présents dans l’assistance ne s’y trompent pas. Il n’hésitera pas à soutenir son propos en animant, seul au piano, l’une des pièces présentées.
DANSE MACABRE. La première pépite réalisée par Philip Jenner au début du siècle dernier montre les défunts et les squelettes, sortis de terre pour la nuit de Walpurgis qui se livrent à de facétieux entrechats et se réjouissent de la terreur qu’ils inspirent. Filmée à base de silhouettes de papier découpées et animées, cette œuvre laisse une agréable impression due tant au talent des réalisateurs qu’à la fantastique musique de Camille Saint-Saëns qui l’illustre. Quoi de mieux que la danse macabre du grand musicien français pour un tel thème.
TULIPS SHALL GROW. Réalisé par Georges Pal en 1942 « tulips shall grow » a l’aspect d’une amusante bluette nous invitant à assister aux amours naïves de Jean et Janette, deux jeunes Hollandais « pur Gouda », abritant leurs échanges à l’ombre d’un moulin. C’est alors que tombent du ciel de métalliques envahisseurs, les « screwballs », écrasant tout au rythme du pas de l’oie, assistés de chars d’assaut et de bombardiers. La pluie et l’orage se déchaineront, réduisant les envahisseurs à néant. L’allusion est claire et c’est un message d’espoir qu’envoie au peuple de Hollande écrasé sous la botte nazie la société Paramount. Les personnages sont des marionnettes de bois, animées, filmées image par image avec une telle précision que les mouvements se font sans à-coups. Le résultat est saisissant.
BARBE BLEUE. Décidément le sombre héros des contes de Charles Perrault semble avoir élu domicile à l’opéra de Rennes, après celui d’Offenbach, c’est une réalisation de Jean Painlevé et René Bertrand qui est proposée. Le graphisme nous est beaucoup plus familier, et le traitement de l’image plus moderne. Si l’ambiance est assez truculente, l’effroi suscité par le Landru des contes de fées est bien rendu. Mais le résultat de cette réussite est pour beaucoup lié à la remarquable musique de Maurice Jaubert.
TO SPRING : Si Hug Harman et Rudolf Ising ont choisi d’abandonner l’art du film d’animation après cet unique passage en France ils n’en auront pas moins réussi un véritable tour de force. La lutte, entre les génies souterrains qui font renaitre le printemps et l’hiver représenté par une tempête de neige, est étonnante de dynamisme. La musique de Jacques Ibert soutient avec vigueur ces images de renouveau.
C’est avec « L’ART DES THANATIER » de 2012 que l’orchestre de Bretagne apparait sur scène et entame son dialogue avec les images. Dans Thanatier, on entend clairement le mot grec Thanatos, autrement dit la mort. Et c’est bien normal puisqu’il s’agit de la lugubre histoire d’un exécuteur des hautes œuvres… Dépouillé de ses instruments de torture, le pauvre bourreau se voit offrir la « machine du père schmitt », autrement dit une guillotine dont il ne comprend ni le montage ni l’intérêt. Privé de son office, il devient lui-même criminel et se donne la mort en se tranchant la gorge avec la lame dudit appareil. Non content d’avoir fait jaillir de son tronc des flots de sang, il ramasse sa tête et part vers d’autres horizons. La séquence est rude et engendre quelques inquiétudes eu égard au très jeune âge de certains spectateurs. Notre voisin, petit chevelu hirsute d’environ 10 ans nous rassurera complétement en ponctuant la séquence d’un « Cool ! » d’amateur averti. Donc, pas de soucis. Le résultat est d’autant plus effrayant que cette séquence est illustrée d’une musique lancinante en parfaite adéquation avec les images. L’auteur, Olivier Calmel, présent dans la salle recevra des ovations largement méritées.
LA JOIE DE VIVRE. C’est avec une note de pure légèreté parisienne que se terminera notre soirée pleine de découvertes. Cette réalisation d’Hector Hoppin et Anthony Gross met en scène des personnages tournoyant dans un ininterrompu mouvement de danse. Ils créent par leur mouvement d’élégantes arabesque et évoquent à coup sûr l’époque des ballets russes et de Nijinsky.La musique de Tibor Harsanyi que beaucoup découvrent pour la première fois est un réel chef d’œuvre.
Il semble donc que l’idée d’associer image et orchestre ait trouvé son mode de fonctionnement. Les possibilités de cette formule sont infinies. Et l’année prochaine circulent déjà des bruits de couloir évoquant un certain Nosferatu. Pour l’heure, il convient de rester silencieux comme un mur, no ?