CENTRE DE RÉTENTION ADMINISTRATIVE DE RENNES, QUEL BILAN ?

À l’occasion des 10 ans d’ouverture du Centre de rétention administrative de Rennes, l’Hotel Pasteur a accueilli la CIMADE en partenariat avec d’autres associations : une soirée-débat sur le thème des politiques migratoires européennes et leurs dérives. Une invitation à se plonger dans un sujet quelque peu évité tant il est épineux…

Le choix de l’Hôtel Pasteur afin de traiter un sujet comme celui des Centres de Rétentions Administratives (CRA) est pertinent. Laboratoire d’idées et de créations, le lieu a pour habitude d’accueillir des projets ambitieux, souvent engagés et désireux de s’offrir une caisse de résonance. C’était le cas de la soirée-débat du 27 juin 2017. Elle rassemblait plusieurs intervenants qui ont exposé leurs expériences personnelles. Que ce soit avec un statut militant (CIMADE, FASTI) ou juridique, ils ont témoigné d’une réalité souvent méconnue : l’enfermement des étrangers sur le sol français.

Cette soirée-débat s’inscrit dans le contexte particulier de l’année 2017. Elle marque à la fois les dix ans du CRA de Rennes mais aussi le début d’une année marquée par la réforme du 7 mars 2016. La réforme rend notamment légal l’enfermement des enfants avec leur famille. Alors même que la France a été condamnée à plusieurs reprises par la CEDH pour ce genre d’action. Un point positif à cette réforme selon les intervenants : elle permet désormais aux personnes arrêtées de rencontrer un juge au bout de 48h. Une mesure qui permet à près de 30% des personnes arrêtées d’être remises en liberté.

Celles et ceux n’étant pas remis en liberté terminent souvent en CRA. Il s’agit de lieux où les étrangers sont retenus dans l’attente de leur expulsion : une sorte de sas avant le retour vers le pays d’origine ou, parfois, un autre pays. Car dans les faits, toutes les personnes expulsées ne sont pas renvoyées dans leur pays natal, en raison du règlement Dublin III. Celui-ci dispose que le pays en charge de l’accueil du migrant est le premier dans lequel celui-ci a été arrêté ou contrôlé. Ainsi, en 2017, près de 13,5% des personnes expulsées l’ont été sur ce schéma.

Il existe une alternative à la rétention en CRA : l’assignation à résidence pour les personnes qui attestent d’un lieu d’habitation. Cette solution est vivement critiquée par les différents intervenants, tant elle relèverait en réalité d’une mesure de « semi-liberté » pour les personnes assignées. En effet, ces mesures d’assignation vont de pair avec des impératifs tels que celui de ne pas sortir de Rennes ou de venir pointer une fois par semaine.

Plusieurs enjeux relatifs aux politiques migratoires européennes ont été abordés durant la soirée. Notamment celui des frontières et de la responsabilité française sur leur herméticité. Le démantèlement de la Jungle de Calais permet – explique une intervenante – de comprendre la démarche de l’État français. Celui-ci s’emploierait à « désengorger » ses frontières maritimes afin d’éviter le passage de migrants dans d’autres pays. Cela serait notamment le cas pour la Grande-Bretagne avec qui la France a passé un accord (Traité du Touquet) la rendant responsable des mouvements de populations s’y opérant. Cette logique de désengorgement connaitrait des limites dans la mesure où si certaines des personnes se trouvant dans la « Jungle » peuvent être arrêtées, certains disposaient d’un statut particulier comme les personnes ayant fui un pays en guerre. Ce statut n’autorise pas les pouvoirs publics à les mettre en rétention. Ainsi, ces migrants sont tout de même déplacés dans des CRA loin des ports, mais doivent ensuite être relâchés pour vice de procédure. Comme le souligne un intervenant du débat, ces procédés font donc partie d’une politique de « dissuasion » des pouvoirs publics.

Au plan européen, les mesures prises à l’encontre des migrants sont tout aussi fermes. Ce qui se dégage de l’étude des cas est une certaine latitude à l’égard de la loi. Les moyens de contrôle sont de plus en plus durs avec Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et garde-côtes, qui gagne en indépendance en même temps qu’elle voit son budget augmenter de façon exponentielle (de 6 millions en 2005 à 330 millions en 2017). Désormais compétente pour initier des actions, Frontex part en « guerre contre les migrants », selon un intervenant, avec des matériaux aux performances militaires (détecteur thermique de CO2) utilisant des méthodes parfois aux limites de la légalité (vols de retour conjoints), échange de données personnelles avec Europol, etc. Ainsi, ce qui s’impose comme le plus gros problème pour les organismes œuvrant pour la protection des migrants est l’impossibilité de condamner ces actions. De fait, il est complexe de déterminer la responsabilité en cas de violation du droit des migrants : est-ce Frontex, l’État dans lequel a été commise l’infraction, l’État dont est issu l’agent fautif ? Ces questionnements conduisent à une mise en cause grandissante de l’agence, comme le montre la campagne menée par Frontexit demandant notamment plus de « transparence sur les mandats, les responsabilités et les actions de Frontex ».

D’autres sujets ont été abordés, comme les coopérations entre les pays d’origine et les pays d’accueil sous forme d’aide au développement en échange de restriction à l’émigration pour les ressortissants émigrer (tels les « accords de la honte » entre la France et la Turquie). Mais aussi la question du laissez-passer européen : document remplaçant le laissez-passer normalement délivré par le consulat qui permet d’expulser plus rapidement.

Un ensemble d’enjeux incitant à se questionner sur la pertinence et le succès des politiques migratoires européennes actuelles. Les différents intervenants sont unanimes : tenter de restreindre les mouvements migratoires avec un durcissement des lois et des conditions de demande de visa ou d’asile n’empêchera pas les flux migratoires, mais les feront advenir de façon plus dangereuse et illégale.

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Maureen Wilson
Maureen Wilson est étudiante en 4e année à Sc. Po. Elle réalise son stage de web-journalisme à Unidivers.

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