LE CENTRE EUROPÉEN DES MÉTIERS D’ART À GIVET EST FERMÉ. UN PRÉCÉDENT INQUIÉTANT

Le président des Métiers d’Art des Ardennes,
Roger-Pierre Durracq, a adressé à notre rédaction de biens tristes voeux. Il nous a semblé utile de les rendre publiques tant les explications qu’ils déroulent sonnent comme une alerte qui va bien au-delà de la ville de Givet. Ne serait-il pas temps de repenser la place du travail manuel, a fortiori artisanal, voire artistique, dans une économie digitale qui standardise les process de fabrication et de consommation de biens et génère d’hégémoniques esthétiques appauvris.

metiers art

Le Centre Européen des Métiers d’Art à Givet (Ardennes) a fermé ses portes définitivement fin septembre 2020, depuis les professionnels des Métiers d’Art qui exposaient leurs œuvres sont venus les reprendre.

Tous ont été unanimes, fiers d’avoir exposé leur travail au Centre, vendu leurs créations et avoir eu des retombées non négligeables de visiteurs qui les ont découvert dans un endroit ou n’exposaient que des professionnels d’exception.
Bien sûr, tous sont tristes de cette fermeture, car ils étaient heureux d’avoir quelque trésorerie à la fin du mois qui leur permettait « de mettre un peu de beurre dans les épinards ». Bien sûr, il y a eu beaucoup de regrets de perdre ce lieu de commercialisation dans lequel les artistes et artisans avaient pleine confiance. Certains ont décidé d’arrêter à la fin de l’année et les autres à poursuivre en attendant des jours meilleurs. Ils ont été très élogieux envers l’Association des Ardennes et du personnel qui gérait le centre depuis 33 ans et se sont joints à eux tous les anciens exposants et particulièrement ceux qui ont, grâce au centre, embrassé une carrière internationale.

Beaucoup de visiteurs qui ont connu la fermeture sont venus une dernière fois leur rendre visite et les plus éloignés ont adressé des messages de sympathie, tous voulaient en s’avoir plus sur la raison de la fermeture :

La situation financière était à l’équilibre d’une gestion à l’économie drastique, mais l’avenir était incertain, nous sortions depuis plusieurs années du champ de vision des structures en responsabilité des Métiers d’Art.

Plus de 40 ans à la présidence de l’Association des Métiers d’Art des Ardennes, membre de la Société d’Encouragement aux Métiers d’Art, membre fondateur et membre du bureau de la Fédération Nationale des Ateliers d’Art, membre fondateur et gestionnaire du fond d’Assurance Formation jusqu’en 2007. Tout ce temps à œuvrer pour l’amélioration de vie des Ateliers des Métiers d’Art m’ont permis d’acquérir de l’expérience et de subir la dégradation de notre économie industrielle, les diverses restrictions budgétaires et le temps ou chacun doit manger dans la gamelle de l’autre.

Les aides de fonctionnement se sont amenuisées comme peau de chagrin. La disparition au cours des années de toutes les personnalités sensibles aux Métiers d’Art qu’elles soient : politiques, haut-fonctionnaires, élus, administratifs ou en charge des Métiers d’art. Certains sont décédés, d’autres ont pris leur retraite, d’autres encore ont changé de service ou ont abandonné leurs charges.

Fin des années 80 lors de l’Assemblée Générale de la Société d’Encouragement aux Métiers d’Art, présidée par Etienne VATELOT, en présence d’un public en nombre parmi lequel de nombreuses personnalités, Jérôme BEDIER Directeur de l’Artisanat au Ministère du Commerce et de l’Artisanat soulignait dans son intervention  « On a laissé l’idée même d’Artisanat dériver vers celle de « petit travail », de « petit boulot » de « bricolage » ; vos Métiers d’Art en ont souffert particulièrement, parce qu’il y a eu toute une part de gens qui étaient parfois créatifs, mais qui étaient assez peu compétents sur le plan technique, qui ont brouillé l’image de l’Artisanat ». Et de poursuivre « faire en sorte que tout le monde puisse voir clairement que l’Artisanat suppose la maîtrise d’un Métier ».

Aujourd’hui, c’est pire ! Nous avons vu se développer les salons de loisirs créatifs puis de gros groupes sur internet proposer des fournitures et accessoires pour s’adonner aux « loisirs créatifs », ainsi que des boutiques virtuelles pour les vendre. Beaucoup, pour être tranquilles, se sont inscrits comme auto-entrepreneur puis au répertoire des Métiers par obligation, où on les retrouve dans la rubrique Métiers d’Art, ce qui leur ouvre les portes des foires et salons Métiers d’Art. Ce n’est plus de la brouille, mais un brouillard très épais ou le public ne s’y retrouve plus. Les visiteurs du Centre s’en sont plaints. « Métiers d’Art » est utilisé a des fins attractives, tous les responsables de parcs d’exposition le savent, ça attire plus de monde !

Dans les années 80 les Métiers d’Art exposaient au Grand Palais à Paris, aujourd’hui l’Institut National des Métiers d’Art qui remplace la SEMA propose aux Artisans d’Art d’exposer et d’animer à MONOPRIX Montparnasse à Paris. Quelle promotion !  S’ils avaient quelques connaissances ou expérience, ils sauraient que grâce aux métiers d’Art la grande surface devrait augmenter son chiffre d’affaires, mais certainement pas les artisans, aux conditions qui leurs sont faites.

Il est vrai que les personnes en charge des Artisans Métiers d’Art on été orientées vers d’autres métiers que ceux du travail manuel dans leur jeunesse et aujourd’hui ils pensent savoir ce qu’est un métier d’Art, mais quand il y a plus de 250 métiers ça complique un peu les choses, et lorsque l’on sait que dans tous ces métiers d’Art il y a les réalisateurs d’œuvres d’autrui, les restaurateurs de mobiliers et d’immobiliers, ainsi que les créateurs, sachant qu’un seul peut être les trois à la fois, peut-être que les personnes désignées pour protéger et développer les métiers d’Art devraient recevoir une formation à la hauteur de leurs futures charges, cela éviterait de grossières erreurs.

Monsieur le Secrétaire d’État Lionel Stoleru écrivait « pour ma part je ne manque pas de considérer les ouvriers et artisans des métiers d’Art parmi l’élite des travailleurs manuels qui font honneur à notre pays ». On est loin de cette considération, depuis des années, le travail manuel a été méprisé.

Le paradoxe d’aujourd’hui, c’est l’apothéose du digital, le « doigt » (en français), ça me remet en mémoire l’époque ou j’apprenais mon travail, lorsque le professeur d’atelier disputait un élève qui travaillait mal, il lui disait « Si tu continues à travailler comme ça,  plus tard, tu ne seras qu’un presse bouton ». Il ne s’agissait que d’un bouton marche/arrêt et non pas de boutons de la puberté, à notre âge… C’était des paroles prémonitoires.  Maintenant il y a de nombreux claviers pleins de boutons pour tous les  doigts, on ne pourra plus dire « il ne sait rien faire de ses dix doigts ».

À la fin de cet âge du « bouton », on a bien connu l’âge du feu, du fer, du bronze et de l’industrie et peut être reparlera-t-on de la main et donc du travail manuel. 
Compte tenu de mon expérience et de la conjoncture actuelle,  je me sentirais coupable d’inconscience si je ne partageais pas moi-même l’expérience vécue depuis plus de 40 ans à soutenir et aider les professionnels des métiers d’Art.

Je sais ce que c’est que d’en être.

En cette nouvelle année 2021, je vous présente mes meilleurs voeux.

Le président des Métiers d’Art des Ardennes,
Roger-Pierre Durracq.

Roger-Pierre Durracq
Roger-Pierre Durracq
Article précédentCHAMPS LIBRES. PRENEZ SOIN DE VOUS AUX JARDINS D’HIVER LES 6 ET 7 FÉVRIER
Article suivantMAYLIS BESSERIE ET MARIE DE HENNEZEL. DE LA FIN DE VIE AUX JARDINS D’HIVER

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici