CENTRE DE RÉTENTION ADMINISTRATIVE DE RENNES, ANGOISSE ET DÉSESPOIR

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2017, année record pour le centre de rétention administrative de Rennes. En un an, 1072 personnes sans-papiers y ont été enfermées. Intervenant dans le centre, la Cimade dénonce la violence de détentions souvent illégales et source de souffrances pour les migrants qui y sont placés.

« On voit bien que l’état physique et mental des personnes se dégrade, entre leur entrée et leur sortie du centre », témoigne Adrien Cornec. Le jeune homme est intervenant juridique à la Cimade, au centre de rétention administrative (CRA) de Saint-Jacques-de-la-Lande, près de Rennes.  Comme les autres salariés de l’association, il intervient pour apporter un conseil juridique aux sans-papiers qui y sont enfermés. Et comme ces autres salariés, il dénonce leurs conditions d’enfermement.

« Ce sont des conditions de vie austères, pénibles », continue-t-il. « Ils ont une chambre, ils ont à manger, mais ça reste un centre fermé par des barbelés, des grillages, et même des bâches pour bloquer la vue. » Dans les salles dites « de détente », les tables, les bancs sont scellés au sol. La télévision, elle, est enfermée dans une cage. Sinistre métaphore de leur détention.

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Cela fait dix ans, depuis le 1er août 2007, que le CRA de Rennes existe. Cet anniversaire, le centre de rétention, installé à proximité immédiate de l’aéroport de Saint-Jacques-de-la-Lande, l’a fêté à sa manière. 1072 personnes y ont été enfermées en 2017. « Un record », commente le juriste.

Au total, le CRA a une capacité de 46 places pour les hommes – 98% des personnes qui y sont enfermées – auxquelles s’ajoutent 6 places pour les femmes et 4 places pour les familles. « Il n’y avait plus de places pour les hommes, raconte Adrien Cornec, on a dû les installer dans les quartiers habituellement réservées aux femmes et aux familles. »

DES SANS-PAPIERS INTERPELLÉS DANS LES PORTS NORMANDS

Derrière ces chiffres, un fait divers, qui a fait décoller les statistiques. Le 1er octobre 2017, un sans-papier tunisien tue deux femmes âgées de 20 ans devant la gare de Marseille. Deux jours avant l’attaque, il avait été placé en garde à vue, mais la préfecture s’était opposée à ce qu’il soit placé en rétention administrative. Après l’attaque, largement médiatisée, le ministre de l’intérieur Gérard Collomb a voulu montrer une figure de fermeté. Le 16 octobre, il transmet une circulaire à toutes les préfectures : enfermement direct pour les sans-papiers placés en garde-à-vue.

À Rennes, 697 personnes avaient alors été enfermées depuis le début de l’année. Après cette circulaire et jusqu’à la fin de l’année, 375 autres y sont placées en rétention. Un tiers des effectifs de l’année, sur deux mois et demi.

Une large partie d’entre eux – une personne sur cinq – est interpelée dans les ports normands, à Ouistreham et Cherbourg, mais aussi, dans une moindre mesure, en Bretagne, à Roscoff et Saint-Malo. « Parce que Calais est devenue une zone de tension, ils essaient de descendre vers ces ports pour tenter leur chance vers l’Angleterre », explique Adrien Cornec. En réponse, la sécurité de ces ports a été considérablement renforcée, à travers notamment le recours à des compagnies de sécurité privées. Si un tiers des sans-papiers du CRA de Rennes sont originaires du Maghreb, ceux-là viennent le plus souvent du Soudan, d’Afghanistan, de Libye – des territoires en guerre, vers lesquels ils sont menacés d’être expulsés.

LA MOITIÉ DES PERSONNES ENFERMÉES RELÂCHÉE EN 48H

À l’échelle nationale, l’augmentation des placements en rétention conduit à des situations ubuesques. « C’est un logiciel qui attribue les places en CRA », explique Adrien Cornec, en fonction des disponibilités. Des sans-papiers interpelés dans le Nord, dans le Jura, ont ainsi été envoyés à Rennes. Les policiers traversaient la France pour les enfermer en Bretagne. Le lendemain, ils étaient relâchés : la procédure légale n’était pas respectée. Relâchés, mais à des centaines de kilomètres de leur lieu de vie.

Ce n’est pas rare que des sans-papiers soient libérés aussi rapidement d’un CRA. Bien au contraire : à Rennes, plus de la moitié a été relâchée moins de deux jours après leur placement en rétention. La principale raison : leur enfermement était illégal.

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48 heures après leur arrivée, ils doivent en effet passer devant le juge des libertés et de la détention. Celui-ci vérifie si la procédure – la décision doit être écrite, motivée et notifiée – a été respectée, et si les arguments présentés par la préfecture sont valables. Le plus souvent, ou bien la police n’a pas respecté ces règles, ou bien la personne enfermée possède des garanties de représentation, des éléments qui prouvent son attachement au territoire et garantissent qu’elle ne va pas fuir. Au final, les deux tiers des sans-papiers enfermés au CRA de Rennes sont relâchés par le juge des libertés et de la détention avant la fin des 45 jours maximum d’enfermement. Mais ces remises en liberté n’annulent pas les obligations de quitter le territoire français (OQTF) qui les ciblent.

UN HOMME SÉROPOSITIF ENFERMÉ TROIS FOIS

Au contraire, dénonce la Cimade, elles reflètent une politique strictement punitive de la part des préfectures, qui peuvent enfermer arbitrairement ces migrants. Certaines personnes, qui ont déjà été libérées, sont ainsi renvoyées en CRA alors même que leur dossier était connu. Thierno fait partie de ces personnes. Âgé de 22 ans, ce Sénégalais est pourtant né en France, où il a vécu la majeure partie de sa vie. En avril 2017, il est enfermé au CRA de Rennes, obligé de quitter le territoire français parce que sans-papiers. Pourtant, les trois précédentes mesures d’éloignement qui l’avaient ciblé avaient toutes été annulées par le tribunal administratif. A son arrivée au CRA, pourtant, le délai de contestation de cette quatrième mesure d’éloignement est écoulé. Il est expulsé un mois plus tard.

Son cas n’est pas isolé. Les exemples se multiplient, jusqu’à concerner parfois des personnes gravement malades. « On a eu une personne séropositive russe », témoigne Paul Chiron, lui aussi intervenant juridique au CRA de Rennes. « Il a été enfermé trois fois. » La première fois, il est libéré pour raisons médicales. La deuxième fois, le tribunal administratif a cassé l’OQTF qui le ciblait. Ce qui n’a pas empêché la préfecture, de Rouen cette fois, de l’envoyer au CRA de Rennes, avec une nouvelle OQTF. Malgré sa maladie, notée dans son dossier.

« La préfecture ne prend pas non plus acte des pathologies psychiatriques », poursuit le jeune juriste. Certains sont hospitalisés d’office en psychiatrie moins de 24 heures après avoir été relâchées du CRA, d’autre le sont pendant leur détention…  « On voit bien que la volonté d’expulsion prime sur le soin », accuse-t-il.

DES DUBLINÉS ENFERMÉS ILLÉGALEMENT

Les expulsés, pourtant, ne représentent que 19,3% des personnes placées dans le centre de rétention de Rennes. Les deux tiers d’entre eux le sont dans des pays en dehors de l’Union Européenne, souvent placés à bord d’avions de ligne. Mais pour le tiers restant, le renvoi se fait dans le pays par lequel ils sont entrés dans l’Union Européenne, en vertu des accords de Dublin de 2010. L’enfermement de ces dublinés a pourtant été déclaré illégal par la cour de cassation le 27 septembre 2017. Mais, accuse la Cimade, cela n’empêche pas les préfectures d’enfermer ces sans-papiers. 55 personnes ont ainsi été enfermées illégalement depuis cette décision.

« Le plus souvent, elles sont convoquées en préfecture pour examen de leur situation », indique Adrien Cornec. De bonne foi, elles s’y rendent. Pour se retrouver placées en rétention, sans qu’elles ne s’y attendent.

Enfermés le soir, ces dublinés sont placés dès le lendemain matin dans un avion privé du ministère de l’intérieur, et renvoyés le plus souvent vers l’Italie. « Elles sont expulsées avant même de pouvoir voir un juge, alors que normalement elles devraient être remises en liberté », poursuit le juriste. Ces renvois sont bien souvent absurdes : il arrive qu’en une seule journée les expulsés parviennent à retourner à Paris…

VIOLENCES, ANGOISSE ET DÉSESPOIR

Au CRA, certains protestent contre leur expulsion. Parfois, les policiers d’escorte les laissent dans leurs chambres. Mais parfois aussi, les méthodes employées sont plus brutales. « Les personnes sont réveillées très tôt, entre 4 et 6 heure du matin », raconte Adrien Cornec. Dans leur sommeil, elles sont ligotées avec du scotch ou des menottes, on leur met un casque. « La personne se retrouve en caleçon à l’accueil, on lui apporte des affaires qu’on suppose être les siennes et on la met ensuite menottée dans l’avion », poursuit le juriste.

Contrairement à d’autres centres de rétention, les dates d’expulsions ne sont pas annoncées. Une violence supplémentaire pour ces personnes, qui ne peuvent pas prévenir leurs proches. Une source d’angoisse surtout. « Ils n’arrivent plus à dormir », s’indigne le militant de la Cimade. A l’intérieur du CRA de Rennes, certains migrants se sont organisés pour protester contre la violence des policiers et ces départs non annoncés. En avril, une quinzaine d’entre eux a décidé de faire une grève de la faim, pendant plusieurs journées.

Mais face à l’anxiété, d’autres craquent. Les militants de la Cimade rapportent que plusieurs sans-papiers se mutilent, se scarifient, essaient de manger du shampooing. Voire de se suicider. « Ça n’arrive pas tous les mois, indique Adrien Cornec. Mais ça arrive déjà trop souvent. » Dans la cour du centre de rétention de Rennes, il y a un terrain stabilisé, avec un panneau de basket. Un sans-papier, désespéré, a essayé de s’y pendre. Sauvé à temps, il a fait peu de temps après une seconde tentative. Cette fois, il a tenté de se pendre avec ses propres lacets.

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Ces situations alarment d’autant plus la Cimade que le projet de loi asile et immigration, qui doit repasser en nouvelle lecture à l’Assemblée Nationale à partir du 25 juillet, prévoit entre autre l’allongement de la rétention, de 45 à 90 jours. Pour les défenseurs de la loi, cela permettrait de facilité les expulsions de migrants sans-papiers. Mais pour les militants de la Cimade, l’argument ne tient pas debout : 80% des expulsions se font dans les 20 premiers jours de la rétention. Avant, donc, qu’elle soit prolongée une première fois par la préfecture. L’association, elle, pose un objectif clair : fermer ces centres de rétention administrative.

Consulter le site de la Cimade en Bretagne ici.

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